Enfantillages #2:  Feu de Paille d’Adrien Demont

Enfantillages #2:  Feu de Paille d’Adrien Demont

FEU DE PAILLE couvertureDans Feu de Paille, Adrien Demont s’approprie les codes du récit d’angoisse pour rejouer les frissons de l’enfance et la peur de la mort. Au delà du réel, les Contes de la crypte, Stephen King et les petits hommes verts, le dessinateur s’amuse du canevas pré-fait des séries de genre qu’il détourne au service de la poésie graphique, en noir et blanc, tissée de contrastes, de lumière et de texture.

Souviens toi l’été martien … En prologue, des champs à perte de vue. Trois enfants discutent du cosmos, des ondes et des perceptions au milieu de mottes de blé, d’étoiles et d’astéroïdes flottants. Happée par les masses noires et les reflets bleutés, chapotée  par une citation de Conan Doyle, cette introduction questionne la perception, brouille la conscience et les sens en invitant à retrouver les origines de la peur. Et si c’était vrai ? Avec une pointe d’humour, Adrien Demont explore le fantastique et l’irrationnel en exploitant l’ironie des clichés. Dans un avertissement métaphysique sur les dimensions parallèles, le dessinateur décortique le rôle de l’angoisse dans la formation de l’imaginaire.

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Joseph vient d’avoir un terrible accident et doit s’habituer à son cœur artificiel. Pour sa convalescence, il part avec sa femme et son fils passer des vacances dans la maison de son enfance, à la campagne. La chouette hulule, la tapisserie bouge à cause des papillons.  Buck, le chien-niche, fidèle au poste, vient accueillir la petite famille.

feudepaillestripnivheL’auteur cuisine les ingrédients du lugubre et introduit le décalage par la touche surréaliste du dessin. La narration cavale, dans la fuite en avant de Joseph, une machine dans la poitrine, qui replonge dans les souvenirs, en répondant à l’appel de l’enfant sauvage, son ami disparu, qui hante ses crises de somnambulisme. Pendant ce temps, son fils et ses copains bivouaquent dans les bois et jouent à se faire peur. Car dans le village où les paysans sont étranglés par les dérèglements de la nature, la rumeur se répend, celle d’un diable, « un escogriffe de bois et de paille », un épouvantail qui terrorise et jette le mauvais sort sur les bonnes gens.

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Le rythme cardiaque s’accélère en procurant une sensation étrange à la lecture, l’œil traverse l’imposante pagination à la vitesse d’un éclair. Le dessinateur ne condense rien, étire son récit dans les planches muettes, ses traits dans les figures longilignes, décompose les mouvements, les plans et les cadrages. Un processus envoûtant et dynamique qui donne l’élan d’une course-poursuite effrénée et effrayante jusqu’au dénouement. Au fil des pages, l’intrigue entremêle les parallélismes, servie par les motifs graphiques comme une chanson à refrains.

feudepaillecaseLes séquences transposent l’expérience du père à celle du fils.  De l’adulte à l’enfant, la peur colonise l’imaginaire, aveugle la société et crée l’homme de paille, le spectre de l’inconnu, le produit d’un délire projeté par les angoisses existentielles.

Lucie Servin

Feu de paille, Adrien Demont, Six pieds sous terre, 272 pages, 23 euros