Happy End Shakespearien

Happy End Shakespearien

Dans la sélection du festival d’Angoulême cette année, Julia et Roem réjouira les amoureux de Shakespeare. Dans cette nouvelle trilogie initiée par Animal’z, Enki Bilal explore la recomposition du monde après le coup de sang de la planète enrendant un hommage vibrant à la littérature. 

Bilal sait toujours se trouver là où on ne l’attend pas. Les fans reconnaîtront le trait du grand dessinateur mais resteront déroutés par la simplicité du scénario qui tranche singulièrement  avec les albums antérieurs, à commencer par Animal’z le premier  volet de cette nouvelle trilogie. L’artiste rompt ainsi avec ses compositions en mille feuilles, ses enchevêtrements parfois débridés et ses jeux de superposition de sens pour un respect littéral de la trame du drame shakespearien. A la seule différence qu’il sauve in extremis Roméo et Juliette de leur mort annoncée. Un happy end rendu possible grâce à l’action de deux protoganistes qui connaissent à l’avance la fin de l’histoire.

juliette

Cette adaptation fait écho aux dessins des décors et des costumes que le dessinateur avait réalisés pour l’oeuvre de Prokofiev et la chorégraphie de son ami Angelin Preljocaj. En adoptant un récit linéaire, Bilal prouve la complexité des choses simples dans une mise en scène eschatologique du texte de Shakespeare. Il revient ainsi à l’essentiel, l’amour, unique rempart de l’humanité face au chaos du monde, suggéré par une terre en révolte contre la folie des hommes. Cet hommage à la langue et aux métaphores du grand dramaturge, qui intervient par citations, nourrit cet univers de fin du monde, décrypté par l’interprétation du frère Lawrence, un ancien aumônier militaire multiconfessionnel. Avec un désert qui tangue et des nuages qui tourbillonnent, les éléments se confondent, la géographie s’en trouve bouleversée, la Baltique rencontre le désert de Gobi alors que les ours et les pingouins du pôle Nord enlèvent Mercutio. La planète insurgée et savante met les hommes à l’épreuve. Après son coup de sang tous les repères ont éclatés. C’est dans un petit  îlot submergé par les odeurs d’hydrocarbures que se transpose le drame, en huis clos, comme dans un théâtre. Les corps évoquent les stigmates du passé comme les tatouages sur le corps de Lawrence condensent dans l’image les symboles de ses anciennes croyances. La grâce d’un trait rapide au crayon sur un papier ocre ressurgit dans les décors de ce monde précaire où le ciel prend vie. Les hommes sont livrés à eux-mêmes dans un univers à la dérive où la mémoire et la littérature restent les seules armes pour sauver l’humanité. L’amour offre une dernière possibilité à la survie des espèces, Julia et Roem sont sauvés tandis que Jojo l’oiseau messager rencontre sa Juliette oiselle. Bilal chante la beauté du monde dans un hymne d’espoir pour la planète, une entité vivante et supérieure. «  La terre qui est la mère des créatures est aussi leur tombe : leur sépulcre est sa matrice même », affirmait le frère Laurent dans le texte de Shakespeare. Une fable à méditer.

Lucie Servin

couv bilal Julia et Roem, Enki Bilal,Casterman, 80 pages, 18 euros

Sortie en le 1er mai 2011