Abstraction de conscience avec Arnaud Loumeau et Léo Quievreux

Abstraction de conscience avec Arnaud Loumeau et Léo Quievreux

#2-Prolongation aixoise 

Les Rencontres BD Aix se prolongent jusqu’au courant du mois de mai. C’est le dernier jour cependant pour visiter certaines expositions comme celle de Léo Quievreux à la galerie Vincent Bercker,  celle d’Arnaud Loumeau à la bibliothèque Méjanes, et celle de Nylso, à la brasserie de la Mairie.

Je vous reparlerai de Nylso à l’occasion de son nouvel album « Gros Ours et Petit Lapin », qui sort lundi, aux éditions Misma.

Vasarely a influencé de près ou de loin de nombreux artistes et son œuvre, si célèbre, appartient désormais à l’imaginaire collectif. En sortant de FranDisco et de la Fondation, les expositions de Léo Quievreux et Arnaud Loumeau prolongent ainsi plus particulièrement la réflexion graphique sur l’abstraction, la cinétique et la géométrie des lignes, en noir et blanc et en couleur.

Infos sur le site bd-aix 

Retour à FranDisco

Si je me laissais aller à l’interprétation des coïncidences, je déduirais que mon ordinateur n’a pas apprécié que je dise du mal de Vasarely car c’est le dernier article qu’il m’a laissé écrire, avant de rendre l’âme sur un écran noir. Je n’ai pas voulu profané le maître incontesté de l’op art et de l’illusion optique, décrypteur moderne des lois des couleurs et pionnier des arts numériques. Et si j’ai enfoncé le clou sur dans l’article sur FranDisco ( à lire ici) au sujet de la fondation fantôme c’est bien le principe architectural, celui de « l’architectonique » du bâtiment  que je remettais en question. La présentation sur le site internet de la fondation résume le projet de cette « Cité polychrome du bonheur », par les mots de Vasarely : »L’avenir se dessine avec la nouvelle cité géométrique polychrome et solaire. L’art plastique y sera cinétique, multidimensionnel et communautaire. Abstrait à coup sûr et rapproché des sciences.« La linéarité de l’histoire de l’art veut que chaque œuvre se démarque de son époque dans une perspective visionnaire et inédite, tournée vers l’avenir.  Le principe que Vasarely remet au goût du jour n’a rien de nouveau, et rejoint les réflexions philosophiques et politiques sur  l’architecture depuis l’antiquité, c’est-à-dire l’affirmation d’une abstraction formelle par la construction, qui reflète une vision du monde et un ordre social. L’utopie démocratisée sous le slogan « L’art pour tous », ne diffère pas en réalité des concepts de Cités idéales qui ont fleuri à travers l’histoire de l’humanité et qui visent à encadrer l’espace public et la société dans un système harmonieux et rationnellement arrangé mais qui porte en lui l’affirmation d’une esthétique imposée. Un programme futuriste assez angoissant, quand on voit la conception du jardin qui entoure la Fondation. C’est pourquoi la ville de FranDisco de Marcel Schmitz qui s’est installée à l’étage jusqu’au 21 mai, amène par un joyeux contraste,  le chaos du vivant. En mouvement,  en expansion, la ville organique naît du désir et du besoin de son « anarchitecte », sans la prétention formelle de dire le beau ni la vérité, si ce n’est de témoigner de ce qui est et de ce qui se construit au fur et à mesure. Par sa présence, FranDisco rejoint finalement le projet de « Cité polychrome du bonheur », dans un épanouissement que le grand visionnaire n’avait peut-être pas prédit.

Le couloir du bonheur avec Arnaud Loumeau

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Je ne suis pas à un paradoxe près et sitôt partie de la Fondation Vasarely, je me suis réfugiée dans les compartiments colorés de la structure imaginée par Arnaud Loumeau, dans le couloir de la bibliothèque Méjanes. Une forme ondulante et curieuse, éclairée par la verrière, comme une vague, qui selon l’angle duquel on la regarde, bouge du jeu optique des géométries par l’entrechoquement de couleurs vives. Une œuvre tout à fait dans l’esprit du maître que je portais en disgrâce, dans le paragraphe précédent. Pourtant ici, j’étais bien, chaleureusement accueillie par le flot multicolore et l’énergie de l’artiste qui  s’occupait à faire colorier des enfants sur la trame de grands mandalas, accrochés à une cimaise. loumeaucarnetEn noir et blanc, les canevas inachevés appelaient  la couleur, et éveillait en moi des désirs de mélodies, d’intégrations chromatiques. Je profitais de l’installation pour me caler à l’intérieur et feuilleter à l’abri du passage  le petit carnet magique, Biglouche, le livre qu’Arnaud Loumeau a édité chez les éditions United Dead Artists, dirigées par Stéphane Blanquet. L’écrin psychédélique s’est ouvert comme une boîte à bonbons. J’étais prise au piège, fascinée par le minutieux travail au feutre de cette orfèvrerie graphique, tissée en gemmes acidulées et kaléidoscopiques qui saturent la page. Une expérience aussi efficace qu’une plaquette de trips.

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L’Ouverture des flux oniriques avec Léo Quievreux.

programmecouvA ne pas manquer non plus, à la galerie Vincent Bercker, l’exposition de Léo Quievreux avec quelques dessins en grand format d’Anyone 40 paru aux éditions Arbirtraire, et les planches du Programme Immersion, un album sorti aux Editions Matière. Cette œuvre graphiquement spectaculaire détourne les codes de la science-fiction et du récit d’espionnage pour explorer le labyrinthe mémoriel d’agents connectés. A Belgrade, « L’Agence » travaille sur la mise au point d’un boîtier révolutionnaire l’ EP1 (Elephant Program One), qui permet de scruter la mémoire visuelle consciente ou inconsciente d’un sujet branché à un écran. Dans ce décor soviétique, l’intrigue emprunte ses clichés au polar noir et rend hommage à l’esthétique constructiviste et futuriste. Reste le « Programme immersion », une machine capable de lire dans un individu à livre ouvert et de former des agents doués d’une mémoire absolue artificielle.programme_immersion_011 Le champ visuel parcourt les souvenirs, installant comme un laboratoire graphique et cérébral où l’artiste expérimente la tension duale du noir et blanc, en superposant les réalités, en utilisant des couples de personnages cobayes mis à l’épreuve de la matière dessinée. La dualité se décline à tous les niveaux, dans la narration et dans l’image, dans le rythme des découpages et dans les deux parties qui composent l’ouvrage, opposant L’agent Le Chauve, l’homme amnésique à la tête scalpée, et Per Esperen son supérieur, à la bouche en motif géométrique. La triangulation insinue le juste déséquilibre des univers parallèles, la perturbation asymétrique dans un style virtuose qui associe figuratif et abstrait, constructions et perspectives, textures et sonorités, dans  une distorsion permanente du réel et de l’imaginaire. L’espionnage est un prétexte au jeu de la combinaison mentale qui dédouble ainsi le programme d’immersion sur le lecteur, complexifiant chaque fois l’intrigue avec de nouveaux agents, dans les entremêlâts de réalités, de rêves ou de surréalités. L’ouverture graphique de ces flux de conscience ne peut laisser indemne.

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Le Programme Immersion, Léo Quievreux,  éditions Matière, 2015, 158 p., 23 €
Anyone 40, Léo Quievreux,  Arbitraire Éditions, 2016, 40 p., 15 €