Dharma Punks, la transcendance du No future.

Dharma Punks, la transcendance du No future.


Couverture Dharma punks final OKDharma Punks, la série d’Ant Sang publiée initialement en Nouvelle-Zélande au début des années 2000, a été traduite en français et paraît aux Editions Presque Lune. Le premier tome vient de sortir, le second arrivera en janvier. En mêlant les enjeux de l’idéal libertaire à l’éveil bouddhiste, on suit l’initiation d’un jeune punk anarchiste d’Auckland dans sa quête de l’arbre Bodhi. Un dialogue philosophique et poétique, aux dessins expressionnistes et sombres, où les masses noires font briller les étoiles.

Dharma Punks, c’est le livre d’un poète, d’un artiste, un livre du doute qui commence par le silence d’un héros songeur, errant préoccupé à regarder ses pieds, submergé par une vague noire, sur laquelle s’écrivent les mots du Bouddha : «  Ainsi faut-il considérer ce monde fuyant : une étoile à l’aube, un éclair dans un nuage d’été, une lampe qui vacille, une bulle dans un ruisseau, un mirage, un rêve. » Au gré des situations, des sensations, des souvenirs, les chapitres retracent les étapes de son initiation. Ant Sang publie au début des années 1990 des petites bandes dessinées, appelées Filth (saleté) du nom d’un groupe de musiciens punks dont le héros est déjà Baguette. Dharma Punks,  édité en nouvelle Zélande entre 2001 et 2003, prolonge les aventures de ce héros. L’année suivante paraissait aux Etats-Unis, Dharma Punx, le livre de Noah Levine, qui théorisait le mouvement des punks boudhistes américains. En réalité, dés l’origine, les méditations bouddhistes ont montré une issue possible aux impasses nihilistes. Ce sont en effet les textes bouddhistes et orientaux qui inspirent les théories de philosophes comme Schopenhauer ou Nietzsche. Le constat de l’absurdité du monde est une expérience existentielle à laquelle chaque conscience est confrontée, notamment à travers la pensée de la mort comme Ant Sang le rappelle dans son livre.

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De l’illusion du Grand Soir

Face à l’impermanence de toutes choses, dans un monde de souffrance, comment trouver la voie et sortir du chaos ?  Le Dharma réunit le tout, la loi et l’ordre universels qui régissent le Cosmos. La notion est complexe, omniprésente et dans le bouddhisme, il s’agit de tous les enseignements de Bouddha. Ici, c’est l’histoire de Baguette, qu’on appelle Baguette parce qu’il est chinois et fin comme une baguette. Baguette est un jeune Punk, qui cherche l’éveil, errant dans la grande roue de l’indifférence, en pleine désillusion sur le monde. Baguette souffre, car il a perdu le sens de sa vie et sa meilleure amie, celle qui l’a laissé orphelin en sautant d’un pont.

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Quête de transcendance, quête de beau. Acquiesçant au postulat nihiliste, sur l’absurdité et l’inexistence du réel, l’action est l’unique revanche, le principe même de la révolte et de la vie. Ça philosophe chez les autonomes sur la guerre, sur la violence, le terrorisme. La décision est prise, il faudra poser une bombe le jour de l’ouverture de « chez Bobo », le supermarché qui ouvrira d’ici peu. Baguette et sa copine Tracy devront s’en charger. Tribulations et péripéties pimenteront le voyage que s’apprête à vivre le héros, propulsé au gré des circonstances, sauvé in extremis par une nouvelle fée, Muette, qui l’emmène vers un autre destin. Le dessin met en relief les personnages, leurs expressions, leur humanité, on tourne les pages, embarqué dans les aléas rocambolesques, en cavale, traqué par des néo-nazis et les nouveaux ennemis, entraîné dans la fuite. Peu de héros sont aussi attachants que ce punk à crête, avec ses mimiques, sa mélancolie, sa solitude et sa voix surtout qui découpe dans les bulles comme des poèmes. Il est Baguette, il est Siddhârta, il est Bouddha, il est la condition humaine. Il faut ainsi souligner la portée philosophique de ce magnifique roman graphique. La mise en scène des dialogues vibre avec le pinceau des « pourquoi  » et des « à quoi bon ». Le texte mime par les silences la beauté du monde qui palpite. On ferme ce premier tome, impatient, il nous faut la suite, car l’histoire de Baguette, comme celle du Bouddha s’écrit pour nous. « Jusqu’à ce que vous trouviez la voie, vous errez de par le monde, le précieux Bouddha caché en vous comme emballé dans un tas de chiffons… Déballez le vite, ce précieux Bouddha qui est en vous. »

Lucie Servin

Dharma Punks, Ant Sang, traduction Philippe Aranson, préface d’Elizabeth Knox et  Dylan Horrocks, Presque lune, 216 pages, 22 euros

Présentation de l’éditeur