Les boucles psychédéliques de Julien Loïs

Les boucles psychédéliques de Julien Loïs

Un hommage au mouvement des free parties et aux expériences psychédéliques dans un one-short hors norme et trempé sous acide.

Pas de panic, tout va bien se passer. Embarqué à bord d’un camion aménagé en compagnie de deux lascars et de leur petit cousin visiblement peu habitué à ce genre de virée, le trio cherche une teuf dans la Creuse à proximité de Carnage sur Yvette. L’ambiance est plantée, au fond du camion Rémi, à cause d’une latte de trop, est déjà parti avant d’être arrivé. Les pupilles se dilatent et le décor s’emballe. Peu de BD mettent en scène le milieu de la Free party et dans ce premier album, Julien LoÏs réussit un tour de force, une caricature bien sentie ou chacun qui a déjà vécu ce type d’expérience ne manquera pas de se reconnaître. “J’ai participé à de nombreuses free party entre 1994 et 2002 et j’avais depuis longtemps envie d’écrire sur cet univers. Toutes ces situations sont imaginaires mais il y a en réalité beaucoup d’éléments autobiographiques

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Un cartoon dérangé

A 40 ans, Julien Loïs n’est pas un petit nouveau. Dessinateur de talent et touche à tout, Julien est d’abord un sale gosse qui a grandit du côté d’Aix en Provence. Allergique à l’école, il quitte le bahut très jeune et multiplie les petits boulots dans le graphisme et le dessin. Passionné par la BD, élevé à coup de Macherot, Margerin, Métal Hurlant, Tank Girl  ou Amer Béton, Loïs dévore tous les styles et toues les techniques. Après avoir travailler quelques années comme coloriste dans la BD ou les studios d’animation, grâce à son ami ;  le dessinateur Eric Cartier, il rencontre Riff Reb’s, le créateur de Myrtil Fauvette et réalise pour une lui une statuette à l’occasion du festival BD du Pertuis.riffrebs Aujourd’hui Riff dédicace l’album à son petit frère de crayon et Julien reconnaît cette filiation comme un héritage. Conçu dans un format court et à l’italienne, Pas de panic à Sonic City se lit comme un cartoon et les personnages aux allures d’animaux rajoute à ce côté Tex Avery et gaguesque. Un univers qui sied bien à Lois, grand amateur de créature à groin, à bec ou à museau bercé dans l’esthétique du Kebra de Jano, des héros looser et de l’humour rat. L’aspect cartoon donne le rythme d’une histoire toute en transformation et en jeu visuel. Un humour décapant, un dessin fourmillant de détails ou Lois glisse des petites références ou anecdotes. C’est drôle et c’est tellement bien fait. Un portrait vécu de ce milieu de la free party, de cette orgie païenne du tout à l’excès et Julien Lois voit dans cette manifestation underground une identique transposition d’une ville avec son centre, le mur d’enceinte, ses stands de consommation, ses circuits parallèles et sa périphérie où s’entassent les camions dans lesquels sûrement d’autres Rémi se retrouvent coincés à claquer des dents en proie à des hallucinations géantes.

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Du son à l’image

chinesemanProche des milieux urbains et alternatifs, Julien rencontre le collectif de graffeurs le 132 crew et réalise avec eux fresques et pochoirs. Alors qu’il animait une émission dans une radio locale d’Aix en Provence, Radio Zinzine, il rencontre les Chinese man et devient leur graphiste réalisant leur logo et leurs pochettes de disque depuis deux ans. Sans support de prédilection, Julien est éclectique mais confesse sa véritable fascination pour la musique. “L’avantage de dessiner c’est qu’on peut toujours écouter de la musique en même temps et je me demande même si le dessin n’est finalement pas un prétexte.” Et ça se ressent, composant son vocabulaire graphique à partir de l’imagerie techno, déclinés en piles de boomer ou machines à son et à sensation, la musique est littéralement injectée dans le dessin dans une mise en scène sonore et efficace. Attiré par l’expérience psychédélique sous toutes ses formes, fasciné par la représentation abstraite des constructions mentales du cerveau, Loïs choisit  une adaptation très littérale où les cases se découpent, se décomposent, emmenés par des chemins alambiqués de la conscience. La fusion est totale, les distorsions sonores palpables et les onomatopées crèvent la case en perspective d’un son qui fait des loops comme dans un morceau techno. Au fond d’un trip, Alpha Blondy résonne en écho au son de Brigadier Sabéri ou Sweet sweet fanta Dialo. Rémi devient presque capable de toucher les sons et s’excite sur le dance floor. Attaqué par des vibrations menaçantes et poursuivi par des tentacules géantes, il se retrouve dans la salle d’attente d’un médecin phacomochère, puis ressort, comprend, stresse, rechute et revient à lui. Mais ce n’est jamais vraiment fini. Quand on mange des boucles ça repart toujours, plus dur, meilleur, plus vite, plus fort, et ça recommence au son des basses rebondissantes.

Lucie Servin

pdpscPas de panic à Sonic city de Julien Loïs, Même pas mal, 80 pages, 14,25 euros

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numéro23Le numéro 23 une obsession

Il y a comme ça des petits hasards dans l’existence qui ne s’expliquent pas et qui ouvrent parfois les voies presque paranormales de l’activité cérébrale. 23, c’est le dé- partement de la Creuse, c’est le nom du sound system Blitzkrieg 23 qui organise la “ teuf “ où se rendent les personnages de la BD de Julien Loïs. Une référence assumée au mythique sound system anglais les Spirale Tribe (SP23) et à leur label Network 23 à l’origine de la diffusion du mouvement des free parties en Europe. Mais 23 c’est aussi le numéro que tire Rémi dans la salle d’attente, le numéro fétiche glissé dans les pages de Tank Girl, le numéro de maillot de Michael Jordan et un numéro magique que l’écrivain William Burroughs associait à la mort. C’est encore le numéro de la rue de Julien Loïs lui-même qui affirme être poursuivi depuis trop longtemps par ce nombre. En choisissant le prénom de Rémi pour son personnage principal, Julien indique ne pas avoir fait référence à une chanson des Ludwig von 88 intitulée Rémi qui pourtant décrit les effets de l’acide. Coïncidence magique ou inconsciente, au milieu du morceau, le Rémi de la chanson est également dans une salle d’attente, lorsqu’on appelle… le numéro 23.