Le RSA de Mimi Pinson

Le RSA de Mimi Pinson

Quand je découvre au réveil des chasseurs de pinsons en slip, brandissant des pelles contre des membres de La ligue de protection des oiseaux, ça me donne envie de raconter mes rêves.  Rideau!

Aujourd’hui, faudrait que je fasse ma demande pour le RSA à Pôle emploi. La motivation ne vient pas, se résigner à mendier, personne n’aime ça. Quand j’étais petite, je voulais devenir danseuse étoile. Alors je me suis mise à dessiner des danseuses, à raconter leurs histoires de toutes les couleurs, des carnavals de confettis, de rubans, de tutus extravagants. C’était il y a longtemps. Que voulez-vous, j’avais pris le pli, goûté au plaisir de penser, préféré dessiner les danseuses que de danser moi-même. Je suis de la race des rêveurs, celle des angoissés du pourquoi, des toxicos de la connaissance, des paralysés de l’ambition.  J’ai donc continué à rêver, j’imprime dans ma tête toutes les histoires que j’invente, les problèmes qui remuent la douce monotonie de mon existence. Je ne m’ennuie pas, aucun moment de répit, je manque toujours de temps et ça ne finit jamais ! Debout sept heures, je jardine. La terre c’est de la matière pour l’imagination. Le plus souvent, je passe la journée avec du café et du tabac en lisant, en écrivant. A part ça, je vais très bien. Bien sûr l’argent c’est embêtant. Je réduis les dépenses à minima et je repousse à demain pour profiter d’aujourd’hui. Dans mon coin, j’ai la paix. Je m’oublie facilement sans rémunération si j’ai le toit, l’assiette, le feu, le lit et quelqu’un dedans. Si je n’arrivais pas au bout de mes économies, si la petite alarme du réel voulait bien s’arrêter de sonner, je resterai tranquillement comme je suis sans bouger ailleurs qu’à l’intérieur. Ça sonne pourtant, de plus en plus fort. Je pourrais toujours arrêter de fumer, de me soigner, de me chauffer, mais j’aurais toujours besoin de manger et je préférais tant qu’à faire, garder mon lit et celui qui va avec. Et pour tout ça, il y a le RSA ! Chez Pôle emploi, un conseiller finira par m’orienter vers un job pourri que je lâcherai à la première occasion.  Non vraiment, mon travail à moi c’est de rêver, faudrait me payer pour ça!

Revenons aux moutons. Pôle emploi. Il me faut le mot de passe. D’abord mettre la main sur le foutu papier. A chaque fois c’est pareil. Au lieu de me corriger, je m’attendris avec condescendance, j’en rajoute en riant de mon mauvais esprit qui s’acharne à rendre tous les petits emmerdements encore plus désagréables qu’ils ne sont vraiment. D’ailleurs, je retrouve le papier tout de suite. Je pense toujours que je vais passer trois plombes à chercher, même si je sais pertinemment où c’est rangé. Devant le même tiroir, je fais mine d’hésiter, et d’un claquement de cil,  je repère le froissement si particulier, la cassure bien nette formée sur la feuille par l’énervement de mes doigts. Le geste s’est accompli d’un jet, sans hésitation, et je reste déçue d’avoir franchi cette étape trop vite. Alors pour ralentir un peu le processus, je m’assois quelques secondes la feuille sous les yeux et la réalité bien en face, en marmonnant des encouragements. Go demander le RSA ! Allez, c’est pas compliqué. J’y ai droit et j’en ai besoin. Misère ! Quelle plaie !

Halte à la procrastination ! Sautons le pas ! J’allume l’ordinateur. La fenêtre de mon navigateur s’ouvre. Je me distrais aussitôt sur facebook, soudainement happée par un post curieux.  «  Le gouvernement lance sa réforme du conditionnement, tous les emballages sont concernés ». ça sent le Gorafi. Faut que je lise ça, Pôle emploi attendra. Trop curieuse, je clique, et tombe sur un article du monde.fr. J’apprends que le nouveau gouvernement prévoie la refonte globale des conditionnements, en s’attaquant simultanément à la gestion des déchets et à la réglementation des emballages. Pas con. Je ne me souviens pas qu’on ait changé de gouvernement. Faut-il que je sois loin de tout ! La politique me gave, mais sur le coup, j’ai un peu honte. Rater une série d’élections présidentielles et législatives, c’est gros. Je vote d’habitude quand ça me semble important, pour les référendums par exemple, je m’abstiens à la présidentielle, je vote blanc aux législatives, mais je me déplace, c’est ma fierté. Sans participer, je garde tout de même une vague idée de ce qui se passe. Là j’avais loupé un sacré wagon. Pour ma défense, c’est sur la Troisième République que je planche en ce moment, l’histoire, encore un des trucs gratuits auquel je consacre mon temps. D’un coup, je flippe un peu, j’ai l’impression d’avoir un siècle de retard, larguée par l’actualité. L’épluchage du web commence, j’en apprends de belles. Une coalition de radicaux de gauche vient d’arriver au pouvoir. Première nouvelle, dans mon souvenir, si la gauche montait à 15% lors d’une élection, c’était déjà le Pérou. Concernant le programme, rien de bien nouveau, des promesses de changement, comme toujours, sur le thème « du vrai changement ». La rigolade ! Pourtant, personne n’a prévu cette première réforme qui risque bel et bien de bouleverser l’ordinaire.

La toile s’emballe. Ça devient drôle de mauvaise foi et fort de rhétorique. Je rattrape le mouvement, grisée par les pour, indignée par les contre.  Je saute de clique en partage, je consulte les avis, une invasion de puces bondissant sur chaque occasion pour placer une insulte, un bon mot ou une grande déclaration de principe. Cette frénésie électrise les commentaires, excite la violence face aux enjeux, et je rebondis comme les autres, penchant nettement pour la révolution des emballages.  Le coup est bien préparé. L’effet de surprise désarçonne les adversaires, car la réforme est complète, dotée d’un arsenal juridique finalisé, de nouvelles normes définies, d’un service inédit de consignes sur le verre, le carton et le plastique. Le financement se fera par la nationalisation des chaînes de recyclage. Des milliers de pages de rapports, d’études de cas, un projet de loi. Le tout vendu comme un modèle d’économie éthique et responsable. Quelle farce ! Si c’était vrai ! A grand renfort de communication, tous les documents sont accessibles sur le site du ministère en format pdf. Un forum est ouvert, une brochure publiée. Je fouille.  J’avale médusée l’abrégé d’une traite. Les propos me paraissent anormalement claires, sauf peut-être quelques chiffres. Je suis allergique à la statistique, dés qu’on me balance un pourcentage, j’ai l’esprit critique qui me gratte, le doute qui me gonfle. Pourtant ici, c’est différent, j’approuve tout ce que je comprends. Je suis conquise malgré mes réticences et je m’emballe à imaginer ma vie sans emballage, c’est beau. Autour de moi, le gâchis diminue, les fleurs refleurissent. Réglementer pour réduire drastiquement le suremballage des produits. Que pouvais-je dire contre ça ? On commence quand !  La fièvre révolutionnaire m’embrase, je pars à la pêche aux arguments. La filière agroalimentaire et la grande distribution sont particulièrement visées, l’opposition encore abasourdie éructe en prophétisant la ruine du pays. J’apprends au passage que la France est le troisième exportateur mondial d’emballage. Un secteur industriel aussi important que l’aéronautique, qui  compte pour plus de 2% de notre PNB. On s’étrangle dans les entreprises, des fuites de capitaux se préparent, tandis que les lobbys rassemblent leur force pour défendre leurs intérêts et la destruction de la terre. Les septiques sont les plus nombreux. Les associations de consommateurs circonspectes attendent de voir où les mesures mèneront. En m’allumant une clope, je regarde mon paquet, où écriront-ils «  Fumer tue » si j’achète mon tabac à la pesée?

Epuisant les rabâchages écrits, je zappe sur la chaine parlementaire. Du grand spectacle. Je vois des oratrices à la Gambetta et à la Jaurès, les barbes en moins, des cheveux en plus, et une présidente de l’assemblée tambourinant frénétiquement sur le tas avec son maillet. J’hallucine une comédie musicale bien rythmée. Au micro, Mesdames la Premier ministre et la ministre de l’écologie répondent héroïquement aux assauts de l’hémicycle. Accusées de mettre en péril des milliers d’emplois, elles répondent qu’elles en créeront encore davantage. Apostrophées pour savoir comment elles comptent soutenir cette réforme à Bruxelles, elles rappellent les remontrances faites à la France par la Commission européenne concernant le recyclage des déchets. Cette réforme fait partie d’un projet pilote intégré dans l’espace Schengen et doit servir de modèle à l’Europe entière. Des négociations s’engageront avec l’Allemagne, le deuxième exportateur mondial des emballages, juste en-dessous des Etats-Unis. Les députés glissent de la nationalisation au procès du nationalisme, les ministres brandissent l’éthique universelle et la responsabilité nationale. Le tri sélectif ne suffit pas, la réforme globale est nécessaire.  Les huées reprennent, les insultes écorchent les prises de parole. Les charges individuelles vont de Staline à Robespierre, quand tout le gouvernement passe pour une bande de hippies abusant de substance, des fous dangereux qui menaçent de faire revenir la France à l’époque de la charrue. Après ça, j’ai ma dose.

L’œil ouvert, ma première pensée va à Pôle emploi. Il est sept heures. Je suis dans mon lit et j’ai dans la tête cette histoire d’emballages. Sur mon ordinateur, je ne trouve rien. J’ai rêvé. Le gouvernement n’a pas changé, toujours les mêmes, je les connais bien. C’est bête, pour une fois que j’aimais ça ! Quel jour on est ? Jeudi, le jour de la poubelle jaune. Mon rêve se détricote facilement et je suis navrée de comprendre son conditionnement. Ma mémoire en route, me revient l’info qui parlait de l’ouverture d’un supermarché sans emballage à Paris. J’avais trouvé ça dérisoire, une cloche ridicule pour trois bobos. La révolution n’avait pas eu lieu. Comme la réalité me déçoit toujours ! Je pense au RSA en errant sur Facebook. Aujourd’hui des mangeurs de pinsons en slip dans les landes ont attaqué des protecteurs des oiseaux  à coups de pelle! Nestlé est accusé de faire travailler des enfants quand Daesh vend son pétrole aux occidentaux! Je ne rêve pas. La poubelle jaune m’attend, ensuite j’irai jardiner et j’éviterai soigneusement le tiroir qui contient le mot de passe du Pôle emploi.

Lucie Servin