Comment résister aujourd’hui ?

Comment résister aujourd’hui ?

cnrJ’ai décidé de reproduire ici le texte retranscrit d’une conférence-débats, animée par ma grand-mère, Yvette Servin, le 3 février dernier à la Mairie du XXème arrondissement à Paris. L’intitulé parle de lui-même, « Résister aujourd’hui ». A 92 ans, ma grand-mère n’a eu de cesse de résister, pendant la guerre, mais également après, en militant pour de nombreuses associations. C’est tout naturellement qu’elle s’est associée à l’ADVR (Association pour la défense des valeurs de la résistance) fondée en mars 2013, par Robert Chambeiron, le dernier des survivants du CNR (Conseil National de la Résistance) qui nous a quittés tout récemment. En donnant à lire ce texte, je partage un témoignage, le témoignage d’une ancienne qui a vécu, et qui rappelle les principes de la société que les Résistants voulaient fonder au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui où en sommes nous ? Ecoutons.

Résister aujourd’hui

Conférence-débats par Yvette Servin

« Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent » disait Lucie Aubrac, et avant de savoir comment, encore faut-il savoir pourquoi.

Les résistances et la Résistance

Les rebellions existent depuis toujours et semblent inhérentes à toutes les sociétés humaines. Depuis l’Antiquité, Spartakus ou Boudicca, les Jacqueries du Moyen-âge, ou encore la révolte ouvrière des Canuts au XIXème siècle, la liste serait trop longue à énumérer ici. Albert Camus écrivait dans l’Homme révolté : « La révolte prouve qu’elle est le mouvement même de la vie, et qu’on ne peut la nier, sans renoncer à vivre ».

La révolte semble participer d’un processus naturel. Elle est crainte mais toujours assimilée par les pouvoirs répressifs comme une déviance populaire possible, un danger et un phénomène à endiguer ou à combattre au nom de l’ordre et de la sécurité. « Emeute de la faim », « émotion populaire », les termes même de Jacqueries décrédibilisent les mouvements spontanées, et alimentent la propagande d’un pouvoir oppressif contre les « réactions » populaires, comparant le peuple à un enfant, mal éduqué.

La révolte devient résistance, quand elle s’accompagne de revendications. Cette transformation passe par la mémoire. Car la mémoire enracine un mouvement dans une continuité historique déterminée, elle donne un sens et contredit la thèse d’une réaction spontanée et irréfléchie. Ce n’est pas pour rien que Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht créent « La ligue Spartakiste » en référence aux esclaves insurgés, trouvant une légitimité dans une lutte millénaire contre l’oppression. En mai 1968, « L’Enragé », le journal créé par Jean-Paul Pauvert renvoie aux « Enragés » de 1793. Cette référence à Robespierre et à l’aile radicale des Montagnards évoque d’emblée la couleur politique et la détermination de cette rébellion. De même sous l’occupation, le Groupe Valmy, fait allusion aux armées de Kellermann, la victoire de la République aux cris Vive la nation !

On distingue cependant ces résistances-rébellions de la Résistance majuscule. D’abord parce que La Résistance est un moment historique particulier, exceptionnel par son ampleur et ses combats. Cette Résistance-là est européenne, elle naît du refus de toutes les dictatures qui émergent dans l’Europe de l’entre-deux guerres, elle lutte contre tous les fascismes et la barbarie nazie. Lors de l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne en 1933, les camps de concentration reçoivent en premier lieu les résistants allemands de tous bords. Le mouvement des Brigades Internationales pendant la guerre civile espagnole fait partie également de ce même mouvement. Cette résistance est multiforme, individuelle ou collective, organisée ou spontanée, elle se manifeste en lutte pacifiste ou lutte armée. Résister c’est tout ça en même temps, en revanche la Résistance majuscule se définit par des valeurs.

C’est pourquoi nous avons créé l’Association pour la défense des valeurs de la Résistance (ADVR), car si la mémoire entretient l’esprit de résistance, la simple commémoration ou les hommages ne suffisent pas à transmettre les valeurs de ce combat, à entretenir cette mémoire. Résister c’est lutter pour des valeurs qui sont les nôtres, et qui ont été portées par le CNR, il y a 70 ans. Ces valeurs sont aujourd’hui menacées.

Pour reprendre les mots de Robert Chambeiron, fondateur de notre association, et qui nous a quitté tout récemment, citons un extrait d’un entretien paru dans le Jouranl L’Humanité du 27 mai 2013, titré : Les valeurs de la Résistance menacées.

« Quel message adresseriez-vous aux générations futures pour perpétuer ce combat ?

Robert Chambeiron : « Aujourd’hui, les valeurs de la Résistance sont menacées. On voit resurgir de plus en plus de campagnes de dénigrement, l’apologie de Vichy, le racisme est quotidien. Cela signifie que les valeurs humanistes ne sont pas acquises pour toujours. Nous devons nous unir, lutter avec fermeté et sans concession contre les résurgences du nazisme et du racisme. Autrement dit, au volontariat qui fut le nôtre, il y a soixante-dix ans, doit succéder un nouveau volontariat au service des valeurs de la Résistance. Une société est en péril lorsque le tissu social se déchire, quand la fracture s’élargit entre « le peu » qui a trop et le « reste » qui a peu, quand la désespérance frappe une large fraction de la population. Sans justice, sans égalité, sans solidarité, la démocratie devient un mot vide de sens. La remise en cause de ce qu’on appelle les acquis de la Résistance, notamment sur le plan social, constitue un recul historique qui tend à priver de son sens véritable le combat du peuple français pour sa libération. »

Education, transmission, Formation

Il ne suffit donc pas de commémorer la Résistance, si les valeurs sont mises à mal. Résister c’est agir, et l’action passe forcément par l’éducation et la transmission. Parmi les résistants, nous avons de nombreux exemples et la preuve que ceux qui ont résisté pendant la guerre ont continué à résister ensuite : Madeleine Riffaud, Marie-José Chombart de Lauwe, Germaine Tillion, L’Abbé Pierre, Geneviève de Gaulle, Séphane Hessel , Raymond et Lucie Aubrac. La liste est longue et à cela s’ajoutent les témoignages de tous les déportés pour le devoir de mémoire.

Sur la base d’ « un nouveau volontariat » , nous devons entretenir cette mémoire, avertir des dangers des idéologies fascistes et nazies, enseigner les mécanismes, étudier les ressorts qui conduisent à de tels phénomènes. Nous devons également nous informer, connaître les changements du monde, nous adapter aux nouvelles technologies. La connaissance libère, plus on apprend plus on comprend. Comprendre pourquoi nous résistions il y a 70 ans, c’est comprendre pourquoi il faut résister encore aujourd’hui, en traquant tous les processus de dominations iniques, en dénonçant les rapports de forces déséquilibrés, en défendant ou en reconstruisant nos acquis. Nous devons organiser des formations à l’économie actuelle, interroger les fondements de la justice sociale en s’aidant des sciences humaines. J’aimerais que cette association ait vocation à diffuser nos valeurs dans les établissements scolaires, mais également à réunir les adultes, car je militerai toujours pour la formation continue. L’apprentissage c’est pour tout le monde et pour toute la vie. Seuls l’esprit critique et la connaissance permettent d’actualiser nos combats.

Les combats

Les valeurs de la Résistance sont celles énoncées par le programme du CNR de 1944. Pour définir quels sont nos combats aujourd’hui, il suffit de confronter les propositions contenues dans ce programme à la situation actuelle.

1-   La souveraineté nationale.

Le CNR dit que le gouvernement doit « rétablir l’indépendance politique et économique de la nation. » En 2015, les traités européens ont été validés en déni de la souveraineté des peuples qui ont voté non comme la France en 2005 à 55% contre la Constitution Européenne.

Garantir la souveraineté nationale, c’est lutter aujourd’hui contre ces traités, et les projets proposés en dehors des instances représentatives et démocratiques, comme le TAFTA, l’accord commercial transatlantique.

https://www.collectifstoptafta.org/

2-   La justice sociale

En 2015, c’est encore la mise à mal des droits au travail, au repos, au logement, le droit des étrangers, les menaces qui pèsent sur la sécurité sociale ou la solidarité nationale. Une résistance s’organise avec l’occupation de logements vides, d’usines, les mouvements d’aide aux étrangers en situation irrégulière par exemple. Il existe de nombreuses structures et d’associations militantes que nous devons soutenir, en devenant nous même membres de ces groupes en fonction de nos affinités individuelles, et en associant nos valeurs à leurs actions. (association avec d’autres associations)

3-   La liberté de pensée

Le CNR affirme la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression, mais le CNR explique surtout qu’il faut défendre « La liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’état, des puissances d’argent et des influences étrangères. »

Au regard des nouvelles technologies et internet, les enjeux actuels induisent une actualisation qui passe par la création de nouvelles propositions en accord avec les valeurs prônées par la Résistance. A l’heure de la dématérialisation des supports, comment assurer un contenu libre et une information de qualité, sans une économie stable des idées. La gratuité des informations et le libre accès aux données doivent être garantis au public mais la qualité des informateurs et leur indépendance passent forcément par un financement. La gratuité indispensable des contenus pour un internet libre ne doit pas gommer la nécessité de rémunérer ces contenus. J’engage l’association à se rapprocher de cercles de réflexions réunis autour de la question de la propriété intellectuelle, de la situation des journalistes et des logiciels libres. En effet, de même que l’entrée des milliardaires dans le capital des médias-entreprises pose dans les faits un problème d’indépendance des lignes éditoriales, de même l’informatique et internet génèrent des revenus conséquents: les ordinateurs ne sont pas gratuits, les logiciels et leurs brevets non plus, les contenus sont parfaitement rémunérateurs quand ils sont convertis en recettes publicitaires. C’est donc de la répartition des revenus dont il est question et de la valeur à donner aux idées, aux débats et à la réflexion.

4-   L’économie

Le CNR de 1944, préconise « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », « une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général », « le développement et le soutien des coopératives », « le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédants les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie. » A ce stade, il ne s’agit plus d’actualisation mais d’une véritable révolution. Le CNR engage les valeurs de la résistance contre le pouvoir de n’importe quel trust d’intérêt privé, contre les transnationales, comme les définit Susan George et tend vers les économies solidaires.

5-   L’éducation

Après la mobilisation du 11 janvier, on préconise des cours dans les écoles pour inculquer les valeurs républicaines. Nous devons résister contre cette forme figée de la transmission du savoir. Il ne suffit pas d’enseigner la tolérance, il faut la vivre, on ne combat pas le racisme en disant que c’est mal, il faut que chacun puisse de lui-même comprendre le degré d’erreur et le danger des propositions racistes. Il en est de même des valeurs républicaines ou religieuses, elles se vivent mais ne s’inculquent pas. Nos valeurs sont portées par une pédagogie active, pour que les générations à venir ne se transforment pas en moutons, elles induisent une réforme de la formation pédagogique des enseignants.

 

Conclusion, la Résistance par l’humour

La résistance paye, il suffit parfois d’une étincelle pour qu’une prise de conscience ait lieu. Les événements en Grèce nous donnent du courage. Enfin, le rire reste aussi une arme puissante pour résister déjà sous l’Occupation quand on pense à Pierre Dac, ou à Germaine Tillion qui faisait jouer son opérette à Ravensbrück. Et de conclure avec les mots de Jean-Christophe Menu qui, en recevant le prix spécial donné par le festival d’Angoulême à Charlie Hebdo déclarait : « L’humour et la démocratie c’est kif-kif. Le progrès c’est 250 ans depuis la révolution. La régression elle, prend 15 secondes avec une kalachnikov. L’humour est la meilleure réponse car une société qui ne rit plus, qui vit dans la terreur, n’a plus de sens ». Sur ce, je ne résiste pas à vous chanter une petite chanson.