Dessine moi… une femme-tonneau

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[chap]A vos crayons amis dessinateurs! L’art de la description est un art de l’image qui manifeste le pouvoir d’évocation des mots. Les plus grands littérateurs excellent à dépeindre un paysage, donner vie aux objets ou tirer des portraits. A travers des pages choisies dans la littérature, BDSphère vous propose d’illustrer librement extraits, passages en prose ou en vers, morceaux piochés parmi les plus grands écrivains. Laissez vous aller sur tous les tons et dans tous les styles et exposez vos dessins ou vos strips si les textes vous inspirent. [/chap]

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Pour initier cette nouvelle rubrique, un texte de Blaise Cendrars, (1887-1961). Aventurier et romancier voyageur, journaliste infatigable, l’auteur à la main coupée de L’Or et de Moravagine dresse ici le portrait d’une prostituée d’un lupanar d’Anvers. Dans la bande dessinée, les pin-ups abondent. Les filles de joie répondent souvent à des stéréotypes nourris par les clichés autour du corps féminin, répartissant autour d’une taille de guêpe des fesses charnues et une poitrine généreuse, tout en exagérant la cambrure dans des postures équivoques. Avec humour, l’écrivain bourlingueur nous dépeint une marchande de plaisir haute en couleur bien loin de tous ces fantasmes.

 

LA FEMME-TONNEAU, EXTRAIT DE BOURLINGUER, 1948

[let]R[/let]ij était une pouffiasse, une femme-tonneau qui devait peser dans les 110, 120 kilos. Je n’ai jamais vu un tel monument de chairs croulantes, débordantes. Elle passait sa journée et nuitée dans un fauteuil capitonné, fabriqué spécialement pour elle et qu’elle ne cessait d’ornementer, d’enrubanner, lui tressant des faveurs, des noeuds, des lacets d’or et d’argent, des broderies, des dentelles et, comme le dossier empanaché en était trés haut, débordant de beaucoup la tête par-derrière et qu’elle-même était toujours débraillée dans ses lainages, elle trônait là, dans cette espèce de berceau ou de quincageon, comme une truie informe dans le wagon enchanté, l’arche d’une cartomancienne, le verbe haut, l’oeil rieur, les paupières lourdes soutachées de noir, entonnant d’innombrables bouteilles de bière et fumant une longue pipe en gypse qu’elle bourrait avec ses gros doigts tout saucissonnés par les bagues, les dents en or, les mollets pâles, les jambes nues, le poil lui descendant plus bas que le genou, les pieds chaussés de babouches de cuir rouge et bleu posés sur une chancelière qui dissimulait son urinal, le chignon monté de peignes à brillants, un miroir à portée de la mai, un main de Fatma pendant au cou. Elle tenait de la mère lapine primée aux Comices agricoles et de l’idole hindoue. Mais elle avait un coeur sentimental et était toujours entrain de s’inquiéter du tiers ou du quarte. Elle exerçait une grande autorité dans la maison car elle avait une clientèle d’amateurs qui venaient Chez Julia spécialement pour elle, et, pour arriver à forniquer avec ce monstre croupissant, le mâle, comme un insecte, devait se mettre à croupetons, par en dessous, par-devant ou par-derrière, la femme comme une reine termite, ne daignant se mouvoir.

–  Heureusement que j’ai une grande vesse, avait-elle coutume de dire quand on retirait le paravent derrière lequel elle avait bossé, ne montant à aucun prix à l’étage, même pour un million. On ne peut pas me louper. Je ne suis pas un accent circonflexe, comme ces dames, moi. Je suis rondouillarde. Je loge à cheval et en voiture. Mais peu d’hommes on l’attelage qu’il faut, et je n’aime pas les mendigots qui font des mines et du boniment, ça me donne la migraine, ça me fatigue. Si toutes les femmes étaient faites comme moi, l’amour ne serait pas une simagrée. Moi, c’est du solide. C’est de la viande. On baise. C’est sain. Regardez…

Et elle se claquait les fesses et se tripatouillait les nichons, mouvant le ventre, les hanches, montrant ses cuisses, ses genoux, ses chevilles phénoménales, vous faisant mesurer le tour de ses bras, palper sa nuque, son dos.
– C’est gras comme une savonnette, pas? disait-elle. C’est lisse et ça sent bon. Et puis, moi, je mousse. Je suis unique. Barnum voulait m’emmener en Amérique. Mais je suis d’Anvers. On a son orgueil de femme. On ne se montre pas comme ça.

Maintenant c’est à vous de jouer!