Les chroniques brésiliennes de Marcello Quintanilha

Les chroniques brésiliennes de Marcello Quintanilha

couvsamedisLes éditions ça et là traduisent entre cette année et l’année prochaine trois livres du dessinateur brésilien Marcello Quintanilha. Un recueil de nouvelles, Mes Chers Samedis, qui vient de sortir, Tungstène, son premier roman graphique paraîtra le 24 aout 2015 ainsi qu’Almas Publicas un autre recueil de nouvelles prévu pour 2016.

Un rythme soutenu, vivant, comme un poumon qui respire, entre l’inspiration silencieuse et l’expiration qui dit tout. Un mouvement de balancier qu’on suit quand les mots saturent la page en nuances de forces, ou quand au contraire ils se retirent, laissant les couleurs vives saisir le réalisme presque photographique des tableaux. Six nouvelles, comme une galerie de portraits, un éventail d’ordinaires, dans un bidonville ou dans les coulisses d’un cirque, à l’usine ou à la plage. Marcello Quintanilha peint les petits drames, révèle l’importance de l’insignifiance, des détails anodins qui président aux destinées de chacun. Ses figures grotesques parviennent à faire entendre les grincements de la réalité sociale, tout en dévoilant la beauté d’individus terriblement attachants.

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En exergue, une petite nouvelle sur une seule planche en hommage au journaliste Rubem Braga (1913-1990), connu au Brésil pour ses nouvelles et son style au carrefour entre la chronique journalistique, la poésie et la fable. Son œuvre n’est malheureusement pas traduite en français. Marcello Quintanilha a commencé  à travailler à la fin des années 80 dans la bande dessinée d’horreur et le dessin animé, avant de devenir dessinateur de presse. Depuis 2002, il s’est installé à Barcelone en publiant notamment une série scénarisée par Zentner et Montecarlo, Sept balles pour Oxford au Lombard. Mes Chers Samedis donne à voir l’artiste dans un tout autre registre.

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Septembre 1952, Rubem Braga aperçoit dans les rues de Rio un papillon jaune qui disparaît. Aujourd’hui, le papillon jaune apparait à nouveau, mais Braga, lui, n’est plus là. Il faut le papillon et les yeux pour le voir. Le jeu entre l’objectivité et la subjectivité se condense ici en une seule planche qui donne la tonalité des autres récits développés plus longuement. « Actualité », en une planche également, fonctionne comme un gag. Les cases en gaufrier balancent en équilibre régulier pour finir en pied de nez et consacrer la malchance d’un ouvrier, qui rate l’occasion de gagner au loto. Le miracle tient de rendre cette occasion palpable. planche marcelloOn écoute alors ces récits auxquels on croit, comme au théâtre pour assister aux facéties humaines. On dégringole en suivant la logique superstitieuse d’un supporter de foot. On comprend le sadomasochisme d’un manutentionnaire, traumatisé par la violence de son ancien maître dont il perpétue les maltraitantes en se fouettant lui-même. On apprend l’histoire du Brésil professée par un pêcheur dans les yeux candides d’une jeune femme amoureuse et inscrite à l’école primaire. On suit enfin les déboires d’un pauvre joueur qui s’est trop vanté à la sortie d’un chapiteau. Des années 1950 à la fin des années 1970, six tranches de vies placées en résonnance, où Marcello Quintanilha projette les quotidiens dérisoires, lustrés par l’éclat tragique et ironique des existences.

Lucie Servin

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Mes chers samedis, de Marcello Quintanilha, éditions Çà et Là, 16 euros, 64 pages