Malik Oussekine, l’autopsie d'une nuit

Malik Oussekine, l’autopsie d’une nuit

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A l’heure où les CRS chargent les manifestations étudiantes contre le projet de loi El-Khomri, l’album Contrecoups, signé par  le journaliste et scénariste Laurent-Frédéric Bollée et son amie dessinatrice Jeanne Puchol rappelle les événements de la nuit du 5 au 6 décembre 1986, où Malik Oussekine, 22 ans,  a été tabassé à mort, dans un hall d’immeuble, par des CRS chargés de réprimer une manifestation étudiante. Une reconstruction documentaire sous la forme d’un thriller historique, trente ans après les faits, à la mémoire d’un homme assassiné, en rappel d’une bavure policière emblématique.

C’était l’époque où Charles Pasqua était Ministre de l’Intérieur, l’époque d’Apostrophe, des débuts du Sida et des manifestations contre la réforme des universités. La droite réactionnaire se lâchait pour justifier la sévérité des répressions et caricaturait le gauchisme des étudiants qui demandaient le Retrait du projet de la loi Devaquet. Louis Pauwels fanfaronnait sur « la jeunesse atteinte d’un sida mental » dans son édito du Figaro Magazine, « Le Monôme des zombies». Malik Oussekine avait 22 ans, il sortait d’un club du quartier latin. Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986,  il a été battu à mort dans un hall d’immeuble par des CRS envoyés contre les manifestants. Sa mort est devenue un symbole, symbole arrogant du pouvoir qui a couvert la bavure policière et justifié la violence en réponse à la contestation sociale. Symbole surtout d’un crime raciste.

Malik était français d’origine algérienne. Né à Meudon-La-Foret, il faisait des études, et envisageait une conversion au catholicisme, peut-être même de devenir prêtre. Mauvaise pioche pour la police qui lui chercha un passé de délinquant ou de dangereux activiste politique pour justifier et rendre l’injustice moins criante. Mais rien. Juste une santé fragile brandie en argument pour minimiser la sauvagerie des agresseurs.

contrecoups1Malik est tombé cette nuit là sur des fous en uniforme, excités par leurs nouvelles matraques télescopiques, des cowboys juchés sur des motos, lors d’une mission spéciale du PVM, « Le Peloton de voltigeurs Motorisés », une escouade remise en place tout exprès pour mater les manifestations. « L’Affaire Malik Oussékine», relayée par les médias a eu pour conséquence, la dissolution des PVM, le retrait de la loi et la démission d’Alain Devaquet, la condamnation dérisoire avec sursis des deux principaux coupables.

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Le 18 octobre 2014, Malik Oussekine aurait eu 50 ans, que serait-il devenu ? Trente ans après les faits, au delà d’une commémoration anniversaire, c’est le temps qu’il a fallu à Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée pour prendre le recul nécessaire et rendre « le cri » audible, un cri de colère et d’indignation, un cri de douleur aussi. « Une certaine justice a été rendue mais la cicatrice reste béante. Pour moi et pour nous » souligne Laurent-Frédéric Bollée dans la préface, rappelant l’ampleur symbolique de cette trahison sociale, nourrie par le sentiment d’injustice et d’impuissance face à un crime d’Etat.

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Mais à part les quelques pages glissées en prologue qui dressent un portrait de Malik Oussekine dans un hommage pudique, en envisageant simplement ce qu’il serait devenu, le récit échappe à la polémique d’une enquête. Un faisceau de personnages conduit à filer les maillons de cette « fiction révélatrice d’une page d’histoire », dans un récit choral, au rythme d’une chronologie resserrée sur une seule nuit. La superposition des témoignages et l’échantillonnage de tous les points de vue, du hall d’immeuble à la salle d’autopsie, de l’ambulancier au CRS, des étudiants au cabinet du ministre, restaurent la valeur documentaire, ajustée à un dessin réaliste, en noir et blanc, précis et incisif, dans une intrigue « taillée au scalpel ». A la cadence d’un thriller, la dynamique des cadrages entraine le découpage et l’enchainement des faits. Décomposé case par case, le défilé des événements rejoue l’autopsie d’un meurtre, réanimant la mémoire, rappelant les circonstances qui conduisent à la bavure, décortiquant les mécanismes et les répercussions d’un crime d’état.

Lucie Servin

Contrecoups – Malik Oussekine, Laurent-Frédéric Bollée et Jeanne Puchol, Casterman, 208 pages, 18.95 euros

Le mot de l’éditeur

Le blog de Jeanne Puchol