Marc Chagall, une fenêtre sur un autre monde

Marc Chagall, une fenêtre sur un autre monde

“Entre guerre et paix”, la nouvelle exposition que consacre le Musée du Luxembourg à Marc Chagall retrace à travers une centaine d’oeuvres une peinture marquée par les grands bouleversements d’une vie. L’occasion de relire et de comprendre comment Joann Sfar s’empare de l’oeuvre et du peintre dans les deux tomes de Chagall en Russie.

-> Le site de l’exposition

Dix ans après la grande rétrospective présentée au Grand Palais en 2003, il n’est pas question à travers la centaine de peintures exposées au Musée du Luxembourg jusqu’au 21 juillet d’embrasser l’ensemble de l’oeuvre complexe et prolifique de Marc Chagall. A travers un parcours chronologique, le spectateur se laisse entraîner sur les traces d’une vie entre guerre et paix autour des expériences qui ont forgé l’originalité de ce grand peintre. Mort presque centenaire, Marc Chagall (1887-1985) a traversé le XXe siècle en construisant son identité au regard des événements historiques et intimes qui ont bouleversé sa vie.

Chagall : la bande-annonce par Rmn-Grand_Palais

 Une autobiographie picturale

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Marc CHAGALL Les amoureux en vert 1916-1917 Huile sur toile, 69,7 x 49,5 cm Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle, dation en 1988 En dépôt au Musée national Marc © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ® © RMN / Gérard Blot

“L’oeuvre de Chagall peut être vue et comprise comme une vaste autobiographie”, résume dans le catalogue (1), Jean-Michel Foray, commissaire honoraire de l’exposition, décédé en août dernier. Marc Chagall est né en 1887 à Liozna, près de Vitebsk, dans l’actuelle Biélorussie, alors intégrée à l’Empire tsariste. Etudiant aux Beaux Arts, il obtient en 1910 une bourse pour se rendre à Paris où il se forme auprès des artistes et des intellectuels de l’époque, se liant d’amitié avec des écrivains comme Blaise Cendrars ou Guillaume Apollinaire et se confrontant au cubisme et au fauvisme. Malgré l’importance de ces influences fondatrices, Chagall développe son propre langage, en marge de tous les grands courants ; l’exposition passe volontairement sous silence ces années de jeunesse, propulsant le spectateur en 1914 à Vitebsk, où Chagall revient pour épouser sa fiancée, Bella. Les quatre toiles qui servent d’introduction à l’exposition racontent l’intimité du bonheur : la douceur des verts exprime la quiétude, l’amour sincère d’un couple et l’attachement de l’artiste à sa terre natale. Chagall se fait surprendre par la guerre, mais échappe à l’enrôlement et assiste en retrait à la tragédie. Une série de dessins à l’encre de chine et au crayon témoigne de cette sensibilité face à la souffrance, celle d’un soldat blessé, d’une communauté juive persécutée qui scelle son sentiment d’appartenance et son attachement à la tradition.

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Marc Chagall, « La danse », 1950-1952, Nice, musée national Marc Chagall © RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Gérard Blot © ADAGP 2012

Dans l’entre-deux guerres, Chagall voyage en Europe, en Palestine aussi en 1931 après que le célèbre galerie Ambroise Vollard lui demande d’illustrer la Bible. Bien que naturalisé français en 1937, face à l’explosion de l’antisémitisme, le peintre est contraint de fuir en 1941. En exil aux Etats-Unis, ses toiles fourmillent de personnages de cirque et de villages en feu. Il perd Bella en 1944. Il surmonte ce deuil par la peinture dans des bleus profonds où la représentation de couples de mariés semble célébrer la défunte dans une aura céleste. De retour en France à partir de 1949, à Orgeval, puis à Saint-Paul de Vence, les toiles s’imprègnent d’une nouvelle lumière. Les couleurs chaudes annoncent une sérénité nouvelle qui célèbre la vie et la Danse, dernier tableau au jaune éclatant qui achève l’exposition, suggère l’espoir d’une paix intérieure révélée.

 Au-delà de la réalité visible

Marc CHAGALL Le Paysage bleu

Marc CHAGALL « Homme-coq au-dessus de Vitebsk » huile sur carton 49 x 64,5 cm, 1925 collection privée © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ® © collection privée

Au premier regard, avec des couleurs vives, des formes naïves, des êtres qui volent dans des compositions aux décors inversés, les oeuvres de Chagall semblent déconnectées de toute réalité. Il n’en est rien. Au contraire, elles manifestent un langage profond, pétri par la réflexion et le souvenir et affirment avec force la place du figuratif dans une peinture qui décrit au-delà des mots cette réalité invisible, nourrie par les visions intérieures. L’onirisme chez Chagall n’a rien de surréaliste. “Il n’y pas de contes de fées dans mes peintures. Tout notre monde intérieur est réalité, peut-être encore plus réelle que le monde apparent”, explique-til. Chagall peint à sa fenêtre et s’inspire de son imaginaire à travers ses émotions et sa mémoire qui tissent un ensemble de signes qui font de la narration une revendication essentielle de son art. Du folklore russe à la tradition juive qu’il questionne, de son inimité intérieure aux bouleversements externes, le peintre déroule une poétique de la couleur qui confère à ses oeuvres une dimension universelle troublante. Entre guerre et paix, le chemin vers la sérénité reflète une quête spirituelle intense pour trouver cet équilibre. Tous ces tableaux sont autant de fenêtres qui invitent le spectateur à une communication sensible avec cette réalité invisible, mais bien réelle. Et Chagall de conclure lors d’une conférence donnée à Chicago en 1958 : “j’ai choisi la peinture ; elle m’était aussi indispensable que la nourriture, elle me paraissait comme une fenêtre à travers laquelle je m’envolerais vers un autre monde.”

Lucie Servin

Renseignements : Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris. Ouvert tous les jours jusqu’au 22 juillet 2013. Tarifs : 11 euros, 7,50 euros (réduit). 01 40 13 62 00

(1) Catalogue de l’exposition, sous la direction de Julia Garimorth-Foray, RMN, 176 pages, 35 euros

 

Moi Chagall, alias Joann Sfar

chagallcouv1Joann Sfar le prolifique, artiste touche à tout, dessinateur et scénariste de bande dessinée, réalisateur au cinéma, romancier ou encore récemment chroniqueur d’art sur France Inter, est né en 1971 d’une famille juive venue d’Algérie.

Les liens de Sfar avec Chagall plongent dans la jeunesse niçoise d’un artiste qui a grandi près du musée national consacré au peintre. Sfar étudie Chagall et rédige sur le peintre un mémoire de philosophie pour lequel il reçoit la mention très bien. Après la biographie en bande dessinée du peintre Pascin (Julius Mordecai Pincas), Sfar compose le diptyque Chagall en Russie, une adaptation encore plus libre inspirée de la jeunesse de l’artiste. Ce conte tragique se nourrit des thématiques fondatrices de l’oeuvre de Chagall. Du Christ, qu’il n’a cessé de peindre, aux chèvres qui volent dans un théâtre portées par les mélodies d’un violoniste, Sfar recompose un cirque de la vie exubérant où l’humour agit en contraste avec la dénonciation du sort tragique des juifs russes au début du XXe siècle. Chagall 2 couv.inddChagall en Russie condense toutes les composantes récurrentes de l’oeuvre de Sfar comme les questionnements métaphysiques sur la tradition juive développés dans le Chat du rabbin ou encore l’univers slave et la culture yiddish de la série Klezmer dont le cinquième et dernier tome sortira prochainement. Cette farandole surréaliste donne naissance à une fable cruelle autour d’un amour impossible. Sfar affirme “cette bande dessinée ressemble plus aux contes de Sholem Aleichem qu’à de l’histoire de l’art, disons que Chagall devient un archétype au même titre qu’à pu l’être Tevié le laitier.” C’est donc tout un monde que le dessinateur métaphorise dans une biographie qui n’en est pas une, inspirée par Yentl ou le Violon sur le toit, mais que Chagall habite néanmoins à chaque page, à moins que ce ne soit Sfar lui-même qui ne se représente, possédé depuis toujours par l’imaginaire du peintre et par cette obsession fixe qu’il partage avec lui : celle de dessiner.

 

Chagall en Russie, 2 tomes, Joann Sfar, Gallimard, 64 pages, 13,90 euros chaque.

 

Le quarantième anniversaire du Musée national Chagall à Nice

ChagallniceParallèlement à l’exposition parisienne, le musée national Marc Chagall à Nice propose une approche complémentaire à travers l’exposition Marc Chagall, d’une guerre l’autre, du 23 février au 20 mai. Les oeuvres proposées rassemblent une soixantaine de dessins, gouaches ou collages, qui témoignent de l’évolution de l’art de Chagall et permettent d’appréhender le processus à l’origine des toiles. Cette exposition précède Marc Chagall, Devant le miroir, autoportraits, couples et apparitions qui se déroulera du 15 juin au 7 octobre.

Inauguré du vivant de l’artiste, ce musée a été conçu en 1969 par André Malraux, alors ministre de la Culture, pour conserver le Message Biblique donné par l’artiste à l’Etat en 1966. Chagall participe activement à ce projet de musée qu’il accompagnera jusqu’à sa mort. Lors de l’inauguration en 1973, il affirmera : “j’ai voulu laisser [ces tableaux] dans cette Maison pour que les hommes essaient d’y trouver une certaine paix, une certaine spiritualité, une religiosité, un sens de la vie. Si toute vie va inévitablement vers sa fin, nous devons, durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d’amour et d’espoir. Pour moi, la perfection dans l’art et dans la vie est issue de cette source biblique”.

Après le décès du peintre, le musée s’enrichit de nombreuses oeuvres et en 2005, il change de nom : de musée du Message biblique, il devient le musée national Marc Chagall.

Le musée niçois co-organise également, pendant l’été́ 2013, deux expositions : Chagall, du Verbe à l’image, (du 22 juin au 15 octobre) au Château de Villeneuve à Vence, ainsi que Chagall, portrait d’un voyageur, (du 20 juin au 15 octobre) à l’Office du tourisme de Saint-Paul de Vence où le peintre a fini sa vie.

Rens. http://www.musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/chagall