Ima ou le pessimisme joyeux

Ima ou le pessimisme joyeux

 

A 23 ans, Ima alias Nicolas Alfaiate n’a pas de ligne fixe et développe ses projets tous azimuts. Il a su toutefois s’inventer un style original et très personnel qui s’adapte à ses histoires et ses envies, empruntant autant au manga qu’à la bande dessinée classique, jonglant entre références et détournements. S’il est parfois difficile à suivre et complètement hasardeux de chercher à comprendre où il va, l’imagination d’Ima nous embarque dans les labyrinthes de son cerveau. Entre fantasmes et obsessions, un grand plongeon dans les abîmes de la conscience, dans un univers sombre, heureusement éclairé par un humour décomplexé.

Ima dessine depuis qu’il est en âge de tenir un crayon. Il est toutefois détourné au lycée d’un cursus d’arts appliqués et passe un bac général et scientifique. Il est malheureusement recalé à l’entrée aux Beaux Arts et décide de s’inscrire à la faculté d’arts plastiques de Bordeaux. Il projette aujourd’hui de devenir enseignant. Féru de bande dessinée depuis l’enfance, il se prend de passion pour Boule et Bill et admire le trait de Roba en affirmant : “J’avais repéré que Boule et Bill étaient édités par Dupuis; du coup, j’ai commencé par dévorer à la bibliothèque tous les albums de cet éditeur. Au collège, j’ai ensuite découvert Joann Sfar et Christophe Blain, une vraie révélation. Avec Petit Vampire de Sfar, j’ai cru naïvement qu’il ne fallait pas forcément très bien dessiner pour faire de la BD, puis en essayant à mon tour d’imiter ce dessinateur, je me suis rendu compte que ce n’était pas si facile.”

Reprenant à son compte le credo de la liberté de Sfar, Ima s’affranchit de toutes règles pour composer ses dessins en se forgeant à l’imitation de cette nouvelle école et en développant un style mouvant et expressif. “Je ne m’interdis rien, explique-t-il, j’applique les techniques et le trait du dessin en fonction des émotions et des expressions que je cherche à traduire dans les cases. Adapter le dessin à la narration constitue pour moi l’essentiel de la bande dessinée.”

Un blog, des blogs

A la différence d’autres blogueurs issus de l’explosion de la blogosphère, le jeune Ima n’a pas éprouvé directement le besoin d’ouvrir son propre blog, se contentant d’une page Facebook pour diffuser et partager ses œuvres. “Il existait déjà tant de blogs BD que je ne voyais pas beaucoup l’intérêt d’ouvrir le mien, sauf pour rassembler les éléments d’un projet entier.” C’est ainsi qu’avec son camarade Dany, étudiant dans la même fac que lui, mais en philosophie, il se lance dans les aventures de Dany le coq“J’ai créé les aventures de Dany le coq à l’origine à cause d’un pari que j’ai perdu avec Dany, et mon gage, si je perdais, était d’écrire une bande dessinée sur lui.” Dans un style graphique simple et humoristique, Ima déroule des gags qui animent ce vaudeville de basse-cour. Au bout d’une dizaine de planches, pris au jeu, il décide de continuer sans véritablement savoir où cela va le mener. Il explique : “une fois que j’ai créé un univers, j’ai toujours du mal à m’en séparer ou à tuer mes personnages, même si je décide de ne plus travailler sur ce projet.” Avec un blog consacré, Dany le coq peut gentiment hiverner dans son poulailler numérique en attendant l’inspiration et la bonne volonté de son créateur qui, sans vilains jeux de mots, aime passer du coq à l’âne, vite séduit par de nouveaux scénarios.

C’est le cas du western imaginé en tandem avec le même Dany au scénario, à qui Ima consacre un nouveau blog, À l’Ouest, fortement influencé par l’esprit des westerns spaghettis de Sergio Leone, dans un univers noir peuplé d’anti-héros. Plus abouti tant graphiquement que du point de vue du scénario, A l’Ouest, avec sa bichromie dans les décors et ses personnages laissés en noir et blanc, développe une intrigue noire, délicieusement décalée.

Ima, les lueurs des ténèbres

Fort de ses expériences qu’il multiplie, Ima décide de créer un blog plus général, Ima le blog, qui centralise en quelques sortes la majorité de ses créations. Iconoclastes, provocateurs, les contours de l’univers d’Ima sont résolument sombres, à l’image de sa nature mélancolique et de sa négativité assumée. L’humour arrive à la rescousse pour alléger le ton, rendant par l’absurde et l’onirisme toutes ses considérations supportables. Influencé par les écrits de Cioran ou de Schopenhauer, Ima reprend d’ailleurs à son compte l’affirmation du philosophe, constatant que “si le détail est comique, l’ensemble est tragique”. Cette ambivalence crée le charme de son monde imaginaire à la fois extravagant et réaliste.

La métaphysique de l’amour sexuel baveux


Le fond de la piscine


Je ne sais pas quel titre donner à ça.

Solitudes et nouveaux horizons

Avec Dany, qui est depuis devenu son collocataire et avec qui il a déménagé à Toulouse, Ima collabore désormais à Solitude(s), un site d’informations sur l’actualité culturelle et les questions de société qu’ils ont créé en novembre dernier. “Empruntant au concept de Rilke sur les solitudes, ce site se concentre sur les individus et interroge les individualités au regard de la société contemporaine, en donnant la parole à des artistes, des sociologues, des personnalités de tout bord….” commente Dany. Le poète Rainer Maria Rilke écrivait “comme il serait préférable que nous comprenions que nous sommes solitude”, insistant sur la nécessité de se connaître soi-même dans la solitude pour mieux interagir avec l’autre et l’altérité. Ima participe au projet avec Conatus et Oves Quirodit, convaincu qu’il faut valoriser l’individu, mais dénoncer l’individualisme égoïste et déplacé. Dany ajoute : “nous voulons faire un site d’informations critique, mais pas polémiste, espérant proposer une alternative de qualité aux médias dominants en publiant des analyses écrites dans un style clair et accessible à tous les publics avec des réflexions ouvertes, sans prendre parti politiquement pour tel ou tel bord. ” Un projet prometteur dans lequel Ima publie des caricatures politiques et des fables philosophiques comme celle des porcs-épics de Schopenhauer.

 

Sélectionné récemment pour les révélations blogs du Festival d’Angoulême 2013,Ima a plus d’une corde à son arc et continue à explorer les univers qu’il fabrique à partir de son imaginaire débridé. Cultivant avec humour ce qu’il désigne lui-même comme son “pessimisme joyeux”, il a le don pour nous faire voir la beauté des gouffres. Un artiste de talent à suivre absolument.

Lucie Servin

Retrouvez Ima sur ses blogs :
Ima le blog
Dany le coq
A l’ouest
Et sur le site de Solitude(s)