Nils Glöt, la Suède et les utopies pour l’avenir

Nils Glöt, la Suède et les utopies pour l’avenir

 

La Suède, c’est le rêve ! Thomas alias Nils Glöt déroule depuis presque deux ans les réflexions et analyses de son Viking préféré sur son blog, les Chroniques suédoises. Un blog dépaysant et intelligent qui s’attaque à tous les problèmes de la société actuelle avec un point de vue absurde et hilarant. Par deux fois sélectionné par le prix des Révélations blog du Festival d’Angoulême, les chroniques valent le détour. Mais où va-t-il chercher tout ça ? Au pays d’Ikea ou du cheval de Dalécarlie, rien n’est moins sûr. Réponse avec l’intéressé.

Au risque de décevoir les lecteurs des Chroniques suédoises, Nils Glöt n’existe pas. Derrière ce pseudo composé à partir du célèbre prénom suédois, universellement connu grâce au Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède et d’une onomatopée Glöt “qui sonnait bien suédois”, se cache un jeune homme de 28 ans au sourire malicieux que rien ne semble lier, de prime abord à son avatar Viking. Au départ, rien ne le prédestinait même à devenir dessinateur. Bon élève, passé par Science Po Grenoble, il poursuit ensuite un master en urbanisme et en architecture et travaille actuellement pour un bureau d’études orienté vers les collectivités. “J’aime mon métier parce qu’il me permet de travailler sur des bâtiments très différents allant d’une médiathèque jusqu’à un commissariat. Je rencontre les gens et je compile comme dans un cahier des charges les besoins liés à la fonction d’un édifice. Toutefois, comme je travaille à temps partiel, j’ai aussi le temps de dessiner à côté. ” C’est pour concilier ces deux activités qu’il aime également brouiller les pistes et conserve son pseudo énigmatique et suédois pour publier sur son blog.

Le dessin d’humour

En février 2011, Thomas lance son blog, les Chroniques suédoises, avec comme beaucoup, l’ambition de montrer ses dessins.“Le blog m’impose également une discipline et un rythme qui permet de confronter directement les publications auprès de nouveaux lecteurs”, ajoute-t-il.  Lecteur de bandes dessinées, Thomas confesse que s’il s’influence des grands classiques comme Trondheim ou Sfar, il lui est difficile de tout suivre et découvre au hasard de flâneries en librairie ou chez des amis de nouveaux auteurs comme Craig Thompson (Blankets) ou Mana Neyestani (La Métamorphose iranienne). Il témoigne : “en réalité, je suis bien plus influencé par le dessin d’humour ou l’illustration. Mon style est très emprunt de Sempé, Reiser ou Bosc en passant par tous les dessinateurs du New Yorker, Charles Addams, Saül Steinberg, Roz Chast, Leo Cullum…”Il souligne : ”étrangement il existe une véritable fracture entre ce type de dessinateur et les auteurs de BD, même au niveau de la formation, car la plupart des dessinateurs d’humour sont autodidactes comme moi, alors que le plus souvent les auteurs de BD ont suivi des études d’art ou de graphisme”.

A mi chemin entre le dessin d’humour et la BD,  les Chroniques suédoises développent de drôles de saynètes absurdes et poétiques à mille lieues des traditionnels contenus autobiographiques qui fleurissent dans la blogosphère. Non content d’animer ses chroniques au nom de son Viking imaginaire, Thomas a d’ailleurs créé un nouveau blog,Jesus on the bus, où il s’amuse à reprendre la sempiternelle vision de Jésus crucifié pour le décliner dans tous les décors. “L’idée m’est venue dans le bus, alors que je m’accrochais aux deux barres parallèles, il m’a paru que je ressemblais à Jésus” affirme-t-il avec naturel. Que répondre à ça? Une série de situations cocasses et humoristiques où la silhouette du plus célèbre crucifié de l’histoire se retrouve déclinée sur tous les tons : Jésus à la circulation, en steward pour Ryan Air ou encore à bord du Titanic.


Le modèle suédois

Nils Glöt cumule à lui seul tous les stéréotypes du bon suédois. Viking, forcément coiffé d’un casque à cornes, élevé dans la plus pure tradition scandinave, fils illégitime d’un aristocrate suédois et d’une cantatrice malaisienne. Après s’être distingué dans le sport national de la chevauchée à dos de renne, il a inventé Ikea et agi avec succès comme médiateur dans un conflit social d’importance.  Acquitté de ses dettes envers le monde, il peut se retirer, pour témoigner de son expérience et prodiguer ses conseils, finir son dictionnaire suédois/malais et écrire ses chroniques car comme il s’exclame à juste titre : “le dessin ça détend !”  

“Dés qu’on est confronté à une problématique d’ordre social, économique ou écologique en France, on brandit toujours le modèle suédois. Je trouvais rigolo de reprendre cette marotte pour compiler mes chroniques”, explique Thomas. L’idée lui vient lorsque du temps de ses études, il se rend en Suède à Göteborg pour observer le savoir faire suédois en matière d’urbanisme. Ainsi naissent dans son imaginaire fécond ses utopies très inspirées par les gags de Reiser, à commencer par le mythique On vit une époque formidable. Sans méchanceté, en observateur curieux du monde qui l’entoure, Thomas conjugue l’humour et l’idée, pour composer ses chroniques utopistes faussement ou réellement inspirées par ce modèle suédois. “Je m’amuse des clichés, mais j’aime également m’inspirer de faits réels pour brouiller les pistes en rajoutant des allégations complètement fantaisistes.” Le véritable secret de fabrication des chroniques suédoises où le déroulé absurde invite au sourire, tandis que les thématiques abordées réalistes et intelligentes renvoient à des problématiques sérieuses.

De l’utopie

Des problématiques de l’économie d’énergie, du développement durable, du recyclage, en passant par le droit des femmes, la vidéosurveillance, l’abstentionisme ou encore l’obésité, les Chroniques suédoises déroutent le lecteur mené par le bout du nez par un dessinateur au ton docte et convaincant. Résoudre le problème des décorations de Noël en piégeant les aurores boréales et en les acheminant avec des auroroducs, recycler des dents de lait pour la fabrication de bijoux en ivoire, remplacer les piscines en réseau de transports qui désengorgeraient le métro, autant de vraies bonnes idées qui rendent cet optimisme particulièrement contagieux.

La Suède devient un prétexte pour inventer un pays imaginaire et exotique, un terreau idoine pour les utopies : le meilleur des mondes possibles. “L’utopie a sa logique propre, un modèle où tout est possible et où ne s’interdit rien. J’aime ainsi développer mes raisonnements comme des utopies, mais je pars aussi de faits réels comme pour la chronique de l’allemansrät, qui reprend le droit nordique d’accès à la nature. Un droit fondamental qui passe, par exemple, avant le droit de propriété et permet à chaque campeur de revendiquer l’accès au paysage. ” Aujourd’hui, Thomas cherche un éditeur, mais publie déjà quelques chroniques dans le magazine Usbek et Rica, s’adaptant bien à la ligne éditoriale de ce trimestriel attaché à l’exploration du futur. De petits riens à l’origine d’idées révolutionnaires, les Chroniques suédoises abordent par l’humour et l’absurde des réflexions pleines de sens sur notre quotidien. Des considérations délirantes et pleines d’avenir.

Lucie Servin

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