Pancho Villa à l’assaut de Zacatecas

Pancho Villa à l’assaut de Zacatecas

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« Un nuage noir » passe « comme une tempête», « une gigantesque tornade ». L’aigle aztèque surgit dans la poussière et une fumée de bois vert. Trains et cavaliers convergent vers une colline, pour un rendez-vous avec l’histoire. A l’assaut de Zacatecas, dans le cœur de l’action, une grande épopée commence, le souffle épique emporte  le défilé des doubles pages, dans une lecture en case par case, qu’imposent les gravures du dessinateur Eko, en noir et blanc, dans l’élan à la fois solennel de la légende et comique de l’absurde.

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En plein désert, Paco Ignacio Taibo II , le célèbre écrivain économise ses mots et laisse dire les images. Epinglé sur le fond noir, dans un cadrage qui rappelle les vieux illustrés, le poème prend corps, pétri par le vocabulaire symbolique et l’imaginaire de l’époque, propulsé par la dynamique des cadrages. Des pages se tournent sur le temps de l’histoire et jouent de suspens en surprises graphiques et littéraires.

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Le 23 juin 1914, Pancho Villa remportait la victoire à Zacatecas contre  les forces du président Victoriano Huerta. Zacatecas ouvrait la voie vers Mexico pour les armées de la Division du nord, sonnant la fin du régime de l’assassin de Madero. « La toma de Zacatecas », « La prise de Zacatecas », selon la formule consacrée par l’histoire nationale est une des batailles les plus emblématiques de la Révolution Mexicaine. Elle fut aussi la plus sanglante. 6000 morts pour 3000 prisonniers. Ces pertes portèrent le coup fatal à l’armée fédérale, alors que 1200 des combattants de Villa furent tués. Une boucherie dont les auteurs de ce roman graphique ont voulu donner la mesure, en concentrant le scénario sur le temps de la bataille, dans un récit tragique et burlesque à la fois, où la mort s’acharne en pieds de nez sur le mythe, au point de venir empêcher le narrateur de « finir cette histoire comme il faut ».

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Ce roman graphique a été publié en 2013 au Mexique alors que  le pays s’apprêtait à commémorer le centenaire de l’événement. Le lecteur français peut passer à côté d’un contexte historique dont le scénario fait l’économie, malgré la préface nécessaire du traducteur qui redonne quelques éléments.

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C’est oublier que Paco Ignacio TaÏbo est aussi historien, biographe du Che et de Pancho Villa. Il publiait en 2005 un roman, Des morts qui dérangent avec le Sous-commandant Marco. Dans une interview(1), il explique l’importance qu’il accorde à l’histoire « j’ai grandi dans un pays où l’histoire appartient à l’état, c’est l’Histoire de l’état. La révolte consiste à dire : « l’histoire ne t’appartient pas, c’est la nôtre, et on va te la reprendre, te l’arracher ». C’est une obsession qui transparait dans mes livres, quand il s’agit de raconter des histoires. Les histoires du passé et celles du présent ne sont pas différentes, elles se croisent. »

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S’approprier l’histoire, raconter les faits autrement, ce livre conteste la présentation historique traditionnelle sur la prise de Zacatecas, une « glorieuse bataille »  qui permet l’avancée décisive des armées de La Division du Nord vers Mexico. Contre une histoire qui suivrait son destin, un Mexique en marche vers sa construction nationale,  Paco Ignacio Taibo s’attache au contraire à l’événement lui-même, recentre sur le déroulement des faits, décompose la situation, pour saisir le présent de l’histoire, au moment où le hasard joue encore, au moment où, rien n’est encore écrit.

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Dans la forme, ce Pancho Villa parodie la farce, l’imagerie populaire, les films et les corridos, les chansons qui ont colporté la légende. L’image intègre les photographies et les films, puisque Pancho Villa, s’entourait de journalistes.  Le mythe s’effrite dans un carnet humoristique inséré au centre du récit et intitulé « Que disait-on de Pancho Villa ? » sur le refrain de « On disait de Pancho Villa ». Les anecdotes sont drôles. Le prisme symbolique de la caricature sculpte en contraste, la matière brute, la sueur, la souffrance, le sang, la violence, le mouvement.  Si depuis cent ans, on transforme, on discute, on épilogue, ce roman graphique souffle, quant à lui, sur l’épique des circonstances, traverse l’instant, une journée, quelques minutes, précipite l’action jusqu’à cette microseconde qui arrache la vie, quand la mort vient. Un scénario magistralement mis en scène, au gré des ressorts graphiques et des rebondissements. Les pages de l’épopée se tournent, altérant par l’humour la caricature du réel pour en extraire la réalité d’un massacre.

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« Un véritable charnier à ciel ouvert sans autre tombe que le sol nu, et des milliers de connards le regard fixé vers le ciel »,

Lucie Servin

Pancho Villa, La Bataille de Zacatecas, Paco Ignacio Taibo II et Eko,  Préface et traduction de Sébastien Rutés, nada edition, 28,00€, 312 pages

(1) Interview de Paco Ignacio Taibo sur le site de Payot-rivages, son éditeur en France : ici

Le mot de l’éditeur : Nada éditions

Le mot d’Eko, le dessinateur : (ici)

 

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