Rachel Deville, la dessinatrice du rêve
Après l’heure du loup, Rachel Deville compile un nouveau recueil de rêves, La Maison circulaire, quatorze récits qui troublent par leur authenticité dans le rendu des mystères oniriques.
Chut ! ça commence ! Boum. Boum. Boum. Quoi ? La nuit. J’ouvre le nouveau livre de Rachel Deville. Une case noircie et flottante grossit de page en page, c’est la case « obscurité », l’ombre nécessaire pour voir. Je suis au théâtre, en quelques pages, l’irréel m’emporte, un refrain étrange de vérité, une matière discontinue, une narration de récits suspendus qui avancent inexorablement et qui disent ou traduisent l’insaisissable rêvé. « Tout est très confus… s’agit-il de la « réalité » ou d’une pure représentation théâtrale ? Si oui il s’agit là d’une sacrée performance et ce metteur en scène a vraiment du génie. » Rachel Deville semble parler d’elle-même. Elle est ce metteur en scène de génie, ou plutôt une architecte si à l’aise avec la logique onirique, qu’elle reconstruit le rêve au plus près de sa réalité. Dans un formidable travail de remémoration, la fidélité prélude à toute retranscription. « Rachel Deville, amoureuse du réel, chapeau bas ! Rachel Deville : une vraie dure », conclut le psychanalyste Hervé Castanet dans une belle préface. Oui, Rachel Deville est une dure, dans l’âpreté de ses images, dans la sincérité surtout des séquences où la bande dessinée s’impose comme l’évidence de l’expression onirique. C’est ce qui rend les planches impressionnantes de justesse, au travers des séquences dessinées et de cette voix off, fil conducteur de la subjectivité qui réunit les rêves. Car Rachel rêve de Rachel, et tout dans le rêve, est Rachel.
Il y a des auteurs que vous aimez d’emblée, comme une amitié qui se noue dés la première rencontre. J’ai connu Rachel Deville en 2012 avec l’Heure du loup, son premier recueil de rêves. Malgré la noirceur un peu artificielle que superposait le dessin au crayon, la justesse de traitement m’avait tout de suite séduite, comme une attirance aveugle, qui m’aurait rendue indulgente sur tout. Un pont s’était établi comme par magie. Une révélation intime et par conséquent difficilement partageable. Cette passerelle de sensibilité se dresse contre toute objectivité ou hiérarchie formelles et représente une expérience suffisamment rare, pour que j’en témoigne, et suffisamment puissante pour que je m’en explique. Car de chaque rêve raconté par Rachel Deville, émane une sensation de vérité, une vérité qui n’est ni autobiographique, ni symbolique, une vérité de matière, une vérité de ton.
Dans ce nouveau recueil La Maison Circulaire, le changement de style, tout en hachures, éclaire un trait plus précis, plus fouillé, qui raffermit la densité d’un propos toujours plus vrai, c’est à dire dépouillé des formes d’interprétations, de rationalisations réconfortantes ou angoissantes que la conscience recompose au réveil. Cet entendement à posteriori fausse et censure l’étrangeté et la primitivité du rêve. Dans ce nouveau recueil, les thèmes restent les mêmes, il s’agit d’explorer à l’intérieur du rêve l’espace imaginaire, d’en garantir l’étrangeté, d’en retranscrire les parcours sinueux, l’errance qui conduit tantôt dans une maison circulaire, un appartement, un atelier, tantôt dans des escaliers, des couloirs ou encore dans la rue, à travers la ville. Les projections mentales s’abreuvent autant du vécu que du désir. Tout dans le rêve se reflète en miroir. Le thème du double, omniprésent dans l’œuvre de Rachel Deville et lié à sa sœur jumelle, se libère. Multiplié à l’infini, devenu absolu, il s’impose naturellement comme un nouveau langage.
Lucie Servin
La Maison circulaire, Rachel Deville, Actes Sud, 180 pages, 27 euros