Culture/Divertissement - Le journalisme : un exercice de style ?

Culture/Divertissement – Le journalisme : un exercice de style ?

© Image titre Gotlib

« Divertissement: Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser. » Blaise Pascal

Le journaliste se veut attrayant, séducteur, racoleur à l’occasion, pour satisfaire l’exigence de divertissement du public. La confusion entre l’animateur et le journaliste, dénoncée parfois devant certains comportements caricaturaux, n’est pas véritablement en cause car  les deux fonctions ne s’excluent  pas totalement.  Pierre Desproges dont on commémore le vingtième anniversaire de la mort cette année, avait donné le change dans ses réquisitoires diffusés à la radio et à la télévision dans le cadre de l’émission:  Le tribunal des flagrants délires. S’adressant à Jean Marie Le Pen, il avait su être cinglant et faire la démonstration magistrale de la force des mots. Le journalisme quelque soit le support, est aussi un exercice de style et les différents registres sont autant d’armes pour aiguiser et diversifier l’appétit de l’usager et  rendre séduisante l’information. Il faut également prendre en compte, la mise en page, dans la presse écrite, l’hypertexte sur internet, la voix pour la radio et l’image pour la télévision. Le registre définit également le pacte de communication avec le récepteur. On n’écoute pas de la même manière un chroniqueur ou le présentateur du journal. Si le contenu doit être soumis à une déontologie rigoureuse et aussi exigeante que pour les autres types de traitement de l’information, on ne peut pas restreindre cette liberté d’expression et au contraire il faut dénoncer la dangerosité d’un langage unique qu’il soit imposé aux journalistes ou entretenu par la routine et le conformisme.

Divertir ou Informer? 

Le registre du divertissement, très à la mode dans les médias peut souvent relever d’une certaine forme de facilité. Le journaliste amuse pour faire vite, sans prendre en compte la complexité du réel et conduit à simplifier les faits pour les tourner en dérision. Les Guignols de l’Info produisent des caricatures légitimes de l’actualité, ils ne peuvent en aucun se substituer à l’information. Le juste dosage entre l’information et le divertissement est un équilibre fragile, et la déontologie impose une vigilance critique perpétuelle du phénomène. Le divertissement ne doit pas prendre la place dominante sur une information « déontologiquement »plus importante qui préside aux choix de sa hiérarchisation.

Ca n’est pas sérieux?

Sans aller jusqu’à prôner le « Journal des Bonnes Nouvelles », il est important de veiller à insérer une dose d’optimisme dans les journaux. Les médias doivent dénoncer les dysfonctionnements, ils doivent aussi savoir décrire le monde au quotidien sans dramatiser a outrance. Les programmes de divertissement comme les jeux télévisuels sont souvent méprisés et dénigrés. Pourtant la conception du jeu, le contact direct avec le public implique des partis pris déontologique majeurs. Le Jeu des mille euros, sur France Inter est  une institution itinérante et historique, certes un peu démodée, elle ne remplit pas la même fonction et ne véhicule pas les mêmes valeurs que les émissions de Télé Réalité qui affichent une certaine forme d’égoïsme et de conformisme. Le  renouvellement du genre des séries télévisées ces dernières années montre que le niveau d’exigence en terme de qualité ne dépend en aucun cas des supports ou des formes du média. Le divertissement doit être d’autant plus responsable que le ton est léger et le dérapage facile.

 

Art et Médias

L’art et la culture n’appartiennent pas réellement à la sphère du divertissement. On a pourtant l’habitude de considérer les activités culturelles comme des loisirs et de les traiter sur le thème de la légereté. La transmission de la culture est une fonction essentielle que les médias doivent assumer. Transmettre des connaissances culturelles s’inscrit  dans la logique pédagogique de la presse. Elle participe de l’ouverture nécessaire des esprits à d’autres formes de penser et de représentations. Le journalisme doit se servir de  l’art pour dresser des tableaux du monde. La déontologie culturelle dispose des  nombreuses réflexions sur le rôle du critique littéraire ou artistique. Baudelaire, critique d’art, montre notamment comment le génie du maniement de l’analyse objective et des jugements subjectifs francs permettent l’expression d’un jugement esthétique. Autant d’éléments qui peuvent permettre à des méta-médias d’observer l’histoire du goût, des arts, de la tradition ou des pratiques de réception culturelle.

La promotion commerciale

La presse culturelle a vocation à promouvoir la culture, en donnant à voir le patrimoine historique et le monde contemporain. La culture est elle aussi en partie aux mains d’une industrie, et représente une source financière importante. Fournir une information de qualité dans la critique de l’art est pourtant essentiel pour améliorer la culture ambiante et le bien commun. Pour le patrimoine, la carte de presse donne accès à la plupart des manifestations. Les événements culturels contemporains sont nombreux et le journaliste est amené à choisir. Les choix ne correspondent pas forcément à ses goûts personnels et peuvent être déterminés  par le type de média dans lequel le journaliste travaille, qui s’adresse à tel ou tel public ou influencé par l’univers des promoteurs et des chargés de communication. Les médias culturels se spécialisent et s’« hyper-spécialisent » si bien qu’ils ont tendance à se confondre avec des promotions commerciales. La frontière est fragile et invérifiable mais révèle la position critique du journaliste. On peut considérer que celui qui n’exerce pas son jugement librement ne fait pas du journalisme. Le journaliste se fait ainsi producteur de valeurs, de représentations et  de goûts.

 

MYTHOLOGIE JOURNALISTIQUE

Au cours des années 1950, dans Mythologies, Roland Barthes s’exclamait : « (…) une de nos servitudes majeures : le divorce accablant de la mythologie et de la connaissance. La science va vite et droit en son chemin ; mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l’erreur par le pouvoir, la grande presse et les valeurs d’ordre. »

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PICASSO ET SES MAÎTRES

picasso

État, Culture, presse 

Le public se presse pour voir Picasso et ses maîtres, et l’exposition connaît un grand succès. Une exposition principale est présentée aux Galeries nationales du Grand Palais tandis que simultanément, deux ensembles thématiques d’œuvres de Picasso sont regroupés au musée du Louvre, autour des Femmes d’Alger de Delacroix, et au musée d’Orsay, autour du Déjeuner sur l’herbe de Manet. Cette énorme rétrospective, décidée par le ministère de la culture et les politiques, fait événement et fait vendre les journaux qui ont tous commenté l’exposition. Au demeurant, cette opération d’envergure masque la réduction drastique des financements du ministère de la culture, crise oblige. La presse a tendance à toujours s’enthousiasmer  pour les grandes promotions culturelles. Ces partis pris nuisent parfois à une analyse critique des manifestations. Picasso est un classique, une valeur sûre très appréciée  par la société contemporaine. Ses œuvres donnent régulièrement lieu  à des expositions. Cette rétrospective se caractérise par la mise en comparaison simultanée des œuvres de l’artiste à celle de la peinture classique. La réunion de grands peintres est impressionnante. Les chefs d’œuvres s’entrecroisent et font chavirer les yeux.

Patrimoine, académisme et pédagogie

Cette exposition peut paraître très académique et convenue. Cependant Picasso et les autres artistes exposés sont de grands génies dignes d’être connus de tous. Les journalistes doivent transmettre ce patrimoine. Par un témoignage vivant et pédagogique ils doivent initier le public à la peinture. De plus l’exposition a une vocation pédagogique puisqu’elle donne à comprendre les influences et son travail par rapport à la tradition. Le journaliste, comme l’artiste,  doit  en permanence questionner ce rapport à la tradition et dialoguer avec elle.

Rendre compte ou promouvoir l’avant garde?

Picasso a appartenu à un mouvement d’avant garde. En rupture avec les procédés académiques , Picasso produit sa vision du monde. Pendant la « période bleue » très sombre de sa vie, aucun média ne s’intéressait à lui, et aujourd’hui la presse se régale de sa célébrité. La presse a t elle des prétentions à promouvoir les mouvements d’avant garde? La question est difficile mais cruciale pour comprendre quelle valeur accorder au jugement esthétique d’un journaliste.

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Extrait du Réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen par Pierre Desproges le 28 septembre 1982

(,,)Alors le rire, parlons-en et parlons-en aujourd’hui, alors que notre invité est Jean-Marie Le Pen. Car la présence de Monsieur Le Pen en ces lieux voués le plus souvent à la gaudriole para-judiciaire pose problème. Les questions qui me hantent, avec un H comme dans Halimi sont celles-ci

Premièrement, peut-on rire de tout ?

Deuxièmement, peut-on rire avec tout le monde ?

A la première question, je répondrai oui sans hésiter, et je répondrai même oui, sans les avoir consultés, pour mes coreligionnaires en subversions radiophoniques, Luis Rego et Claude Villers. S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors, oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? Est-ce qu’elle ne pratique pas l’humour noir, elle, la mort ? Regardons s’agiter ces malheureux dans les usines, regardons gigoter ces hommes puissants boursouflés de leur importance, qui vivent à cent à l’heure. Ils se battent, ils courent, ils caracolent derrière leur vie, et tout d’un coup, ça s’arrête, sans plus de raison que ça n’avait commencé et, le militant de base, le pompeux PDG, la princesse d’opérette, l’enfant qui jouait à la marelle dans les caniveaux de Beyrouth, toi aussi à qui je pense et qui a cru en Dieu jusqu’au bout de ton cancer, tous, nous sommes fauchés, un jour, par le croche-pied de la mort imbécile et les droits de l’homme s’effacent devant les droits de l’asticot. Alors, qu’elle autre échappatoire que le rire, sinon le suicide ? Poil aux rides ?(…)

Deuxième question : peut-on rire avec tout le monde ? C’est dur… Personnellement, il m’arrive de renâcler à l’idée d’inciter mes zygomatiques à la tétanisation crispée. C’est quelquefois au-dessus de mes forces, dans certains environnements humains : la compagnie d’un stalinien pratiquant me met rarement en joie. Près d’un terroriste hystérique, je pouffe à peine et, la présence, à mes côtés, d’un militant d’extrême droite assombrit couramment la jovialité monacale de cette mine réjouie dont je déplore en passant, mesdames et messieurs les jurés, de vous imposer quotidiennement la présence inopportune au-dessus de la robe austère de la justice sous laquelle je ne vous raconte pas.(…)

France Inter, Les Réquisitoires du Tribunal des Flagrants Délires