Un dessin minimaliste, des fautes d’orthographe à chaque page, une vulgarité assumée et un langage de jeune dans le vent, le succès du blog de Georges Clooney reste une énigme. A peine un an après son apparition sur la toile, le délire potache d’un animateur devient un phénomène si bien que Delcourt vient d’éditer une intégrale de 350 pages de l’histoire vrai (sans e) de ce Georges Clooney en costume moulant.
En partant à la rencontre de Philippe Valette, c’est un mélange de doute, d’incompréhension et d’appréhension qui saisit n’importe quel bédéphile quelque peu dubitatif par cette revendication en creux d’un livre bien singulier et dans la forme et dans le fond. L’histoire démarre dans le ton. Un super héros en collants rouges se réveille un matin et trouve une crotte au milieu de son salon. Cet incident l’empêche d’arriver à temps pour prêter main forte à la police contre le braquage d’une banque par une mystérieuse tortue ninja. Contre mauvaise fortune, bon cœur, motivé par une irrésistible envie de double cheese burger, notre super héros en goguette commence donc par se rendre au Mac Do où il rencontre la serveuse sexy qui lui donne une trique gênante au regard de son accoutrement. Les dessins aux feutres et les fautes d’orthographe “qui n’ont pas été faites exprès à la base mais qui ont volontairement été laissées ensuite” rappellent les délires d’un adolescent prépubère qui se laisse aller entre imagination et fantasme pour faire marrer ses copains au fond de la classe ou dans une cour de récré. Devant Philippe Valette, on est surpris de découvrir un être charmant, cultivé, intéressant et même drôle. On a beau scruter son visage à la recherche des boutons d’acné dont on se persuadait que le pu avait du servir à composer ces pages, mais on ne trouve rien. Alors on se reprend en cherchant à comprendre.

De l’animation à la BD

A 28 ans, Philippe Valette a toujours aimé dessiner mais lorsqu’à 11 ans, un de ses petits camarades reçoit un caméscope pour Noël, il se découvre une vraie passion pour la vidéo et se lance avec ses copains dans la réalisation de petits films. “J’ai toujours été créatif et manuel mais j’aime surtout raconter des histoires et construire des univers. Pour moi, le cinéma est peut-être un des arts les plus complets. J’en ai nourri une véritable passion et j’ai quelque peu délaissé l’illustration. Ce n’est qu’en m’orientant dans la filière des Arts appliqués que je me suis ensuite réconcilié avec le dessin, car dans cette perspective touche à  tout, je me sentais dans mon élément. Cependant je me voyais mal poursuivre mes études dans une école d’art qui m’aurait destiné à la BD ou l’architecture.” Il s’inscrit finalement à l’école Estienne à Paris pour suivre les cours d’animation 3D, une formation encore balbutiante à l’époque. Si Philippe Valette est quelque peu déçu du contenu de l’enseignement, il en tire un bagage technique qui lui ouvre une carrière dans l’animation. Revenu à Lyon, il se lance en freelance et multiplie les projets. Participant à moitié bénévolement pour l’association Mountains riders, qui milite pour la protection de l’environnement dans les stations de montagne, il réalise une multitude de courts métrages éducatifs. Parallèlement, il intègre le milieu du jeu video et travaille pour Atari  autour du jeu Alone in The Dark V. Il rejoint la capitale fort de ces expériences, pour travailler pendant deux ans pour Wizz réalisant clips, pubs, et longs métrages avant de signer un contrat de compositeur à Londres auprès des studios Cartoon Net work. “A côté de mon activité dans l’animation ou le jeu vidéo, j’ai toujours continué à dessiner en imaginant des projets personnels. Malheureusement, les projets en animé demandent une mobilisation telle qu’ils restent à l’état d’idée, et à force la frustration grandit de ne pouvoir les réaliser. C’est pour cette raison que je me suis en quelque sorte réconcilié avec la BD car c’est le moyen le plus simple pour raconter des histoires sans se préoccuper de toutes les contraintes liées au cinéma. ”

Un trailer réalisé à la pause entre midi et deux sur le modèle de Dragonball Z

Georges Clooney, une soupape de décompression

“Je cherchais le moyen le plus simple de raconter une histoire, du coup je suis allé m’acheter une boîte de feutres et j’ai commencé à dessiner celui qui n’avait pas encore de nom et que j’ai choisi sans réfléchir au moment de faire la couv d’appeler Georges Clooney”.

 Un simple délire en somme mais comme Philippe Valette résidait alors à Londres, il cherchait un moyen pour partager ses blagues à deux balles et faire marrer ses camarades restés en France.

“J’avais d’abord pensé à faire une application I-phone pour une lecture adaptée en case par case mais comme la censure d’apple s’avérait trop contraignante j’ai décidé d’ouvrir un blog sur blogspot en juin 2012. Je ne m’attendais pas du tout à trouver un public en dehors de mon cercle d’amis, mais quand j’ai ouvert une page facebook, en une semaine, c’était l’explosion. J’étais le premier étonné d’autant que ce type d’humour et de dessin est à l’inverse de ce que je fais d’habitude. C’était surtout une soupape de décompression et je me suis fait prendre au jeu.”

Comment expliquer un tel succès. Avec le recul, aujourd’hui que le blog est édité chez Delcourt et que le premier tirage s’est déjà vendu comme des petits pains, Philippe Valette analyse : “Je pense que c’est l’honnêteté immédiate qui a séduit les lecteurs qui se retrouvent dans la simplicité de ces dessins d’enfants plus faciles à s’approprier.” En revendiquant un premier degré sans sous entendu, Philippe Valette semble en effet avoir élaboré un style de bande dessinée quasi automatique qui récupère toutes les références de la culture jeune du moment, liant jeux vidéo, comics et dessins animés, dans un ensemble déjanté bourré de références conscientes ou inconscientes.

“Entre le Mac do, Flash Gordon ou Dragonball Z, je pense que ce blog fait l’effet d’un shaker de la pop culture et même si ce n’était pas une volonté délibérée à la base, les références fonctionnent auprès d’un public de ma génération.” Parmi ces références sorties de tout et n’importe quoi, à titre d’exemple, le Chalet où se déroule le combat final, lui a été inspiré par un fait divers sordide d’un père accusé à 93 ans d’inceste par ses filles qui tout en niant les faits explique que tout ceci n’a eu lieu qu’une seule fois au chalet.

Une première publication et de nouveaux projets

Après cette publication, Philippe Valette se concentre sur de nouveaux projets. Désinhibé par l’écriture BD, il travaille désormais sur ses thèmes de prédilection : la science fiction et l’aventure. “Je ne lis pas de blog BD et si je lis quelques BD j’ai des goûts en réalité très hétéroclites : j’adore aussi bien Dungeon Quest de Joe Daly ou Pascal Brutal de Riad Stattouf que les Cités obscures de Schuiten et Peeters et j’ai une véritable fascination pour Marc-Antoine Matthieu.  Editer Le blog de Georges Clooney m’a surtout permis d’aller au bout du délire et j’ai découvert aussi ma capacité de production. En effet, au départ je comptais faire un ouvrage beaucoup moins volumineux mais au fur et à mesure les idées venaient et j’ai finalement explosé le format.”

Entre les cheese burger,  le langage mal orthographié bourré de néologismes tels le “rigolol”, ou des références obscures issues de rêves débridés comme ce frère mongolien qui fait des doigts d’honneur à tout va, l’enfer d’un diable conciliant où les pêcheurs sont réduits en saucisses à cocktail, ce Georges Clooney avec un s à ne pas confondre avec l’acteur, parvient, mine de rien, à tenir le fil d’une intrigue absurde qu’on aime ou qu’on n’aime pas mais qui révèle surtout le potentiel de ce jeune artiste qui pourrait bien surprendre dans des registres très différents.

Lucie Servin

Georges Clooney. Une histoire vrai de Philippe Valette, Delcourt,  370 pages, 29,95 euros

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