Borb, Le charlot d’aujourd’hui

Borb, Le charlot d’aujourd’hui

borb couvBorb, de Jason little, traduit par Léa Guidi pour les éditions AAARG, raconte la vie d’un clochard. Une comédie dramatique en strips, aussi universelle qu’un film de Charlie Chaplin, en plus cruel.

Un petit livre plus puissant qu’une massue. Borb, c’est l’histoire d’un clochard. Borb, ce n’est pas vraiment un nom car Borb n’est plus vraiment un homme. Il est un archétype du vagabond moderne, une dégaine identifiée et dérangeante, portée par la vie, ruinée par l’alcoolisme. Il est un rot, un pet, une gerbe, une odeur. Borb est moins que rien. Il n’a d’ailleurs pas vraiment de vie, il n’a plus de dent, bientôt plus de jambe, plus d’organe. Sa vie c’est la bouteille, un banc, des cartons et quelques rêves. Il subit, ancien toxico, viré par son patron, mis à la porte par sa femme. Son existence lui échappe et tout s’enchaîne.

borb1Le découpage carré, en épisodes de quatre cases, comme des motifs, rompt avec la mise en page traditionnelle des strips en longueur et donne le rythme d’une dégradation répétitive, lente et progressive. C’est le portrait en majesté de la misère, dans toute sa laideur, cette abdication de la volonté qui achève la dignité humaine, rendant Borb, à sa condition de mort-vivant. Le dessinateur ne porte pas de jugement, il témoigne avec la pointe d’une ironie tranchante qui tape juste et qui fait très mal. Dans les scènes presque muettes, le texte se réduit en onomatopées, en verbes sans sujet. Borb le sans langage n’est plus tout à fait humain ni pour lui-même, ni pour les autres. Sa vie est un mime, une comédie du rejet. Car au delà de l’indifférence, Borb inspire la crainte et le dégout. Il n’appartient plus à la société, il en devient une gêne et sa mort rend service. C’est une sorte d’euthanasie sociale. Borb, c’est du Charlie Chaplin en bande dessinée. La fable noire d’un monde sans pitié. Si vraie, si cruelle, si borb.

Lucie Servin

Borb, de Jason Little,  AAARG! Éditions
/Collection Cabaret96 pages, 12,50€
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Présentation sur le site de l’éditeur

Le site de l’auteur

Note du calamar : 

En 2013, je réfléchissais sur le SDF en BD, dans l’article à lire ici. Le point de vue adopté par Jason Little, dans Borb, est à l’exact inverse de la bande dessinée documentaire, qui cherchait à rendre compte de parcours individuels, dans une perspective sociologique. Jason Little n’est pas un sociologue, c’est plutôt un peintre du regard, un observateur perspicace de la déshumanisation sociale.