Une exposition Jakob Hinrichs à Aix jusqu'au 28 mai

Une exposition Jakob Hinrichs à Aix jusqu’au 28 mai

Quel plaisir de retrouver l’artiste berlinois Jakob Hinrichs ce weekend à Aix-en-Provence pour l’inauguration de son exposition à l’Office du tourisme présentée jusqu’au 28 mai dans le cadre des Rencontres du 9ème art. 
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Autour des planches issues de son travail d’adaptation en bande dessinée des textes de Hans Fallada et d’Arthur  Schnitzler, on découvre d’autres travaux comme les impressionnants découpages asymétriques où l’artiste s’impose en architecte graphiste, constructeur et déconstructeur d’imaginaires.
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Au milieu de l’espace destructuré dans les cases, des bonhommes longilignes en bois s’effraient à l’idée du ciel qui pourrait leur tomber sur la tête. Des formes drôles et des couleurs vives pour conjurer le sort et dédoubler l’angoisse en fragments de peur
et de fantasme. Une exposition immanquable.
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Exposition jusqu’au 28 mai à la Galerie Office de tourisme
300 avenue Giuseppe Verdi, Aix-en-Provence
ouvert tous les jours de 8h30 à 19h
entrée gratuite

Hans Fallada alias le buveur

Pour en savoir plus sur l’album Hans Fallada, vie et mort du buveur, traduit de l’allemand par Laurence Courtois. édité chez Denoël Graphic, 160 pages, 22,90 euros.

jakob1Célèbre en France avant la guerre, puis oublié jusqu’aux rééditions chez Denoël depuis 2000, Rudolf Ditzen, alias Hans Fallada, est un auteur incontournable en Allemagne, enseigné au lycée et à l’université. Prolifique et populaire, portraitiste social de la crise de l’entre-deux-guerres, son chef-d’œuvre Seul dans Berlin raconte la vie d’un couple d’ouvriers résistants dans un immeuble berlinois en 1940. Trois mois après l’avoir achevé, Fallada mourait à 51 ans d’un arrêt du cœur. Alcoolique et morphinomane, toute sa vie est rythmée par ses séjours en prison ou à l’hôpital psychiatrique. Son esthétique réaliste s’attache à la faiblesse humaine, il y décrit la foule du quotidien, des antihéros de l’ordinaire, des figures à l’opposé du mythe du surhomme qui s’impose dans l’Allemagne en cours de nazification. La découverte en 2011 de sa correspondance a enrichi sa biographie.

Le jeune dessinateur allemand Jakob Hinrichs a été l’élève de Wagenbreth, dont il a adopté le style affichiste particulièrement graphique, qu’il réinterprète d’un trait expressionniste en empruntant aussi dans ses constructions à Joost Swarte. Après avoir adapté en BD la Traumnovelle d’Arthur Schnitzler, son éditeur lui propose le Buveur. Ce roman, écrit comme un long monologue à la première personne, reste sans doute une des œuvres de fiction les plus personnelles de l’écrivain. « Une clé m’échappait, dans ce roman, pour comprendre le décrochage qui entraîne la chute d’Erwin Sommer », explique le dessinateur.

jako6Quelle enquête ! Jakob n’écrit pas une biographie générale de Fallada, mais juxtapose la fiction et les conditions qui l’ont fait naître. En 1944, Fallada commence le Buveur alors qu’il est emprisonné pour avoir tiré sur sa femme, un soir d’ivresse. Sur le même manuscrit, entre les lignes, il écrit Dans mon pays étrange, un journal secret. Un faisceau converge et éclaire la matière littéraire, à laquelle Jakob ne touche pratiquement pas, réintégrant les citations au gré d’un collage-montage extraordinairement cohérent. Le graphisme harmonise les séquences où le texte surprend par la force de l’image. Sur le principe de Pantone, la quadrichromie renvoie aux ambiances rétro et aux techniques anciennes d’impression quand les fonds noirs rythment l’angoisse et l’isolement. Rien n’est laissé par hasard. La nouvelle Rapport objectif du bonheur d’être morphinomane réinsérée, comme dans un carnet, pénètre la jouissance de l’autodestruction dans la spirale addictive.

jakob5Le suicide du dessinateur et caricaturiste E. O. Plauen, provoqué par les nazis, avec qui l’écrivain avait été interné, s’exprime en tonalité chaude et s’oppose au gris bleuté de Fallada. À noter, la série Vater und Sohn de Plauen a été éditée par les Éditions Warum. Les animaux scandent les chapitres en écho à l’imaginaire fantastique de l’écrivain qui fut d’abord reconnu pour ses contes pour enfants. Le tout forme une étoffe ajustée aux dimensions multiples, et superpose à l’infini le sentiment de l’insécurité, de l’inachèvement et de la solitude : « Je ne suis pas un homme véritable, juste un être humain, devenu vieux. »

Lucie Servin

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