Il était une fois Jean de l’Ours par Jacques Velay et Mattt Konture

Il était une fois Jean de l’Ours par Jacques Velay et Mattt Konture

jean2lourscouvAprès un premier tome paru en 2010, le second épisode de la série « Jean de l’ours », vient de sortir à l’Association. En s’appropriant cette légende populaire, le duo Jacques Velay et Mattt Konture, réinterprète les aventures de l’homme-animal, dans un récit polyphonique.

« Les histoires sont des êtres vivants », explique Olivier de Robert, qui connaît bien celle de Jean de l’Ours, une des légendes les plus populaires du répertoire pyrénéen. Le conteur occitan ajoute « Elles font des nids et grandissent à l’intérieur des gens ». (1) Les contes se transmettent et se transforment. Ils existent en mille variantes et renaissent à chaque fois qu’on les raconte. C’est toute la magie des légendes, qui donnent comme une trame de départ, le tempo d’une mélodie sur laquelle chacun peut improviser, transposer.

paysagejeanoursVecteur d’une mythologie intemporelle, le conte garantit surtout la permanence d’une thématique universelle. Et Levi Strauss de définir les mythes. « Les mythes ce sont des histoires que les gens se racontent ou qu’ils écoutent, des histoires sans auteur qui se sont incorporées au patrimoine collectif à force d’être répétées et transformées, et par le moyen desquels chaque société essaye de comprendre à la fois comment elle est faite, les rapports de ses membres avec l’extérieur, et la position de l’homme dans le monde. Ce sont donc des histoires qui tendent à fonder par ce qui s’est passé à l’origine des temps, la raison pour la quelle les choses sont comme elles sont.»(2) La légende de Jean de l’Ours raconte l’histoire d’un enfant né d’un ours et d’une humaine, les aventures de cet être hybride démontrent la part de l’homme et de l’animal aux origines de l’humanité et du monde. Reconnaître la part de l’ours qu’on porte en soi, c’est interroger son rôle dans notre humanité.

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Dans cette nouvelle version, librement réinterprétée, Jacques Velay et Mattt Konture actualisent la fable à travers un récit contemporain, délirant et psychédélique. Mattt Konture assure par le dessin la filiation avec l’oralité des légendes, investissant dans les images la part d’évocation propre à la puissance des mots qu’on entend, qu’on écoute. Cofondateur de l’Association, le dessinateur est de ces artistes entiers, dont toute l’œuvre s’exprime comme un prolongement de lui-même : une sensibilité rayonnante.

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Le récit commençait en 2009, au cours d’une randonnée en Lozère. Malvina et Christophe partaient faire du camping sauvage au Bois de l’Os (qui signifie ours en occitan). Un couple qui s’engueule, un couple au bord de la rupture. D’une situation banale naît le fantastique. Malvina se fait enlever par l’ours, et Christophe se réfugie chez deux nymphes des bois.

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Ce premier épisode, de la séparation à la naissance de Jean de l’Ours, focalise sur l’illusion et les mystères de l’amour, matérialisés par les champignons qui rendent Malvina amoureuse de l’animal, de la même manière que les sorcières séduisent Christophe avec des philtres dans la forêt. La drogue sert de leitmotiv pour ouvrir la perception de l’imaginaire, pour explorer la bestialité de l’être humain. Il en sera de même pour l’initiation de l’enfant dans le second tome où la châsse à l’ours témoigne de la brutalité du passage à l’âge adulte, à travers le rejet et la marginalisation.

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Le dessin fait sens et sensation, il ne laisse pas de place au vide. Tout en détails et en textures, le merveilleux habite les planches en noir et blanc et les cases elles-mêmes semblent respirer dans cet univers extraordinaire. Elles s’animent et dansent au rythme de découpages à la fois dynamiques et réguliers, soutenus par un graphisme vacillant entre la transposition réaliste et les transformations abstraites.

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En contraste les dialogues sont sagement distillés, laissant parler le décor et les scènes d’action, incrustant la pointe d’humour juste nécessaire au décalage, encore renforcée par le contexte et les expressions occitanes. Au regard des Fuméti d’un fumiste, le précédent album de Jacques Velay, la narration devient plus linéaire. Elle épouse le folklore. Elle convole avec l’interprétation luxuriante et vibrante du dessinateur qui creuse dans le fantasme, dans l’hypnose, entre conscience et inconscient, matérialisant les pulsions et les désirs, démontrant le pouvoir surnaturel des sentiments sur l’initiation sociale et la rébellion. Sous ses apparences d’historiette, ce Jean de l’Ours rappelle le portrait d’Harry par Hermann Hesse dans le Loup des Steppes : «  Son existence n’oscille pas (à l’instar de celle de tout homme) entre deux pôles uniques, entre les instincts et l’esprit ou entre la sainteté et la débauche ; elle oscille entre des milliers, d’innombrables séries d’oppositions. » Peut-être le secret pour comprendre la complexité de l’âme humaine.

Lucie Servin

(1) Ecoutez l’histoire de Jean de l’ours racontée par Olivier de Robert ici

(2) Ecoutez Claude Levi Strauss parler du mythe dans les archives de l’INA

jeanourscouv1Jean de l’Ours, Jacques Velay et Mattt Konture, Association, deux tomes, tome 1, 46 pages, 9,20 euros, tome 2,  80 pages, 15 euros

Le mot de l’éditeur