Jean-Claude Denis, un trait sensible à l’école de la vie

Jean-Claude Denis, un trait sensible à l’école de la vie

Jean-Claude Denis, Grand prix du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême l’an dernier, est le président de la 40e édition qui s’ouvre ce jeudi. Portrait d’un artiste dont la discrétion n’a d’égal que son talent. 

Discrétion, humilité et modestie. A 62 ans, Jean-Claude Denis compte déjà une trentaine de livres à son actif et son élection comme Grand prix du Festival de la bande dessinée d’Angoulême l’an dernier a tout de légitime. Relativement méconnue du grand public, son œuvre conjugue une sensibilité d’artiste et des expériences intimes et personnelles. Dessinant depuis toujours, il est admis en 1971 aux Arts déco de Paris avec déjà l’idée de faire de la bande dessinée. Il y rencontre Martin Veyron et André Juillard, dont il partage l’atelier. Après quelques années passées dans l’illustration et la publicité, il édite ses premières planches de BD en 1978 en publiant André le Corbeau, dans Pilote, puis en album chez Dargaud et réalise avec Martin Veyron un premier conte illustré pour enfants, Oncle Ernest et les Ravis, chez Casterman. En 1979, il publie chez Futuropolis Cours tout nu. Dans ces contes animaliers si différents du style réaliste héritier de la ligne claire qui ont fait sa marque de fabrique, on retrouve toujours un art de la sensation et des anti-héros, autant d’êtres ordinaires qui peuplent toutes ses histoires et qu’il dessine tout en délicatesse et en subtilité.

De l’autobiographie ordinaire

De l’intime avant toute chose. Sans voyeurisme ni autosatisfaction, Jean- Claude Denis forge ses histoires toujours à partir de lui-même, c’est la manière qu’a l’artiste d’exprimer sa singularité et d’être au monde. Chroniqueur du quotidien, il se met en scène à travers ses personnages qui sont tout sauf des héros. Maladroit, simple, parfois lâche, Luc Leroi incarne cet alter-ego qui grandit avec lui depuis les premières aventures publiées à partir de 1980 dans le mensuel A Suivre. Cet anti-héros, petit rouquin casanier, mais attachant et facilement séduit par le charme des femmes, lui colle à la peau, si bien qu’il y revient toujours et qu’il envisage même de composer bientôt une nouvelle aventure. Futuropolis vient d’ailleurs de sortir une excellente intégrale Leroi reprend tout à zéro, qui regroupe les 7 albums et 5 histoires courtes inédites. Des récits décalés, brodés à partir de petits riens, qui suivent le rythme d’un homme dans son époque. L’album Quelques mois à l’Amélie (publié chez Aire Libre), qui reçoit le Prix du dialogue et de l’écriture en 2003 au Festival d’Angoulême, marque un tournant plus littéraire amorcé par des ouvrages comme L’ombre aux tableaux ou Le Pélican. Chroniqueur du présent, Jean-Claude Denis a l’art de raconter l’air du temps comme dans les Nouvelles du monde invisible qui mettent en scène le rôle des odeurs dans la connaissance au monde. Maître de l’évanescence, il matérialise l’impalpable. Il s’arrête un temps sur le passé avec le diptyque Tous à Matha où il se remémore son adolescence, en se réappropriant des souvenirs qui lui échappent et qui appartiennent à tous ceux de cette jeunesse d’avant 1968. C’est pourtant le même Denis que l’on retrouve dans son dernier volume Zone Blanche, à travers le personnage de Serge, un quinquagénaire électro-sensible, en butte avec notre époque de technologies. L’auteur tisse ainsi à l’école de la vie, projetant son regard de poète sur son existence qui défile sans nostalgie, mais toujours avec justesse. Il vieillit avec ses personnages, avec cette manière détournée de parler de lui-même. Sa pudeur ne retient que les émotions et s’exprime sans crier gare par la simplicité de l’élégance.

lucie servin

Exposition rétrospective à l’Hôtel Saint-Simon, rue de la Cloche verte – 16000 An- goulême, du jeudi 31 janvier au dimanche 3 février.

Du dessin à la musique

Près de sa table à dessin, sa guitare n’est jamais loin. Jean-Claude Denis a toujours été attiré par la musique au point d’avoir même refusé des propositions d’enregis- trement de disques alors qu’il n’était qu’adolescent. “J’étais à l’époque en révolte contre mes parents, mais j’étais parfaitement d’accord avec eux et je n’ai jamais voulu transformer cette activité en profession. C’est à ce moment que j’ai com- pris que le dessin serait le pilier de ma vie.” Il n’abandonne pas la musique et joue d’abord au sein de Dennis’ Twist, avec entre autres Philippe Vuillemin et Frank Margerin. Aujourd’hui, il compose un duo avec Charles Berberian. La musique ne pouvait donc être absente de cette édition d’Angoulême. S’il a du renoncer à l’idée d’organiser un festival de musique, il donne rendez-vous aux visiteurs dans l’auditorium du conservatoire de musique avec Charles Berberian pour des “scènes libres” vendredi 1er et samedi 2 février de 17h30 à 19h30. En toute liberté, avec des guitares laissées à portée de main, on y parlera musique dans une ambiance informelle et conviviale avec notamment Joost Swarte comme invité.