L’anarchitecte de FranDisco au secours de l’architectonique de Vasarely
#1-Prolongation Aixoise
Cette année, je venais pour la première fois aux Rencontres du 9ème art à Aix en Provence, dont les expositions se prolongent pour la plupart jusqu’au 21 mai. C’était pour moi un privilège d’assister à ce festival dont on me chantait les louanges depuis quelques années. J’avais pris rendez-vous pour trois jours à nager dans la bd comme une truite heureuse, papillonnant dans les expos, buvant de la bière en terrasse et du vin à table. Trois jours de rencontres surtout. Sans chercher à tout faire, je me suis laissée aller au jeu, en saisissant les occasions d’échange, jouissant de la concentration de gens formidablement eux-mêmes, savourant les événements imprévisibles que provoque chaque rencontre, qu’elle soit anticipée, minutieusement préparée ou simplement fortuite, manquées ou belles, chacune joue de l’inédit et de l’incidence. Voici la prolongation de l’une d’entre elles, en hommage à FranDisco, à Marcel Schmitz, à Thierry Van Hasselt et malgré tout à Vasarely.
Nous arrivons à la nuit tombante à la Fondation Vasarely, en enjambant les fossés pour atteindre la pelouse remplie par un immense bassin couleur boue. Un lieu étrange. Excentré, prétentieux et imposant, le bâtiment architectonique qui fêtera cette année son quarantième anniversaire ressemble à un vieux data center à l’abandon. A l’intérieur, c’est pire, le motif nid d’abeilles est décliné pompeusement en panneaux géants de couleurs vives sur des murs trop hauts. L’angoisse. Certaines salles sont éteintes et je ne me risque pas. Heureusement que je ne suis pas là pour Vasarely. Nous venons pour visiter FranDisco, la ville fabriquée par Marcel Schmitz dont Thierry Van Hasselt a fait une bande dessinée, un livre d’art que seuls des éditeurs comme Frémok ( dont le dessinateur est aussi un des fondateurs) ont l’audace de publier. Nous débarquons en troupeau, un car de touristes qui mitraille de photos.
Marcel Schmitz et Thierry Van Hasselt se sont installés à la Fondation Vasarely pour une résidence, de décembre à janvier dernier. Ils y ont terminé la bande dessinée, et préparé l’exposition dans le cadre du festival. A l’étage, dans la salle qui sert encore d’atelier, le duo a choisi de montrer quelques croquis d’urbanisme de Vasarely déjà plus digestes, et pendant que nous envahissons l’espace, Marcel Schmitz construit inlassablement une pizzeria, lucide sur l’essentiel, concentré sur sa création, à l’écart de la foule qui arpente sa ville. Le bâtiment né dans son imaginaire manque désormais à l’urbanisme qui n’en finit pas de se construire. La pizzeria est devenue nécessaire. C’est ainsi que la ville s’agrandit, sédimentant les souvenirs comme les désirs de l’artiste dans ses constructions de carton, laissant à l’avenir la promesse de son expansion.
Au sol, la mégalopole s’étale, éclairée par des lampes réverbères, un conglomérat de buildings, avec ses espaces verts, ses églises, et ses monuments, habitée par toutes sortes d’engins et de personnages, au gré d’une géographie qui semble aléatoire, accumulée au petit bonheur par l’ « anarchitecte », comme le qualifie le dessinateur complice. Le blanc du scotch vient homogénéiser l’ensemble sur lequel le dessin s’inscrit au feutre et où percent quelques touches de couleur, de collages et de broderie. Dans les détails FranDisco regorge de mystères dont le spectateur n’a pas les codes, mais la joie qui émane de cet univers donne spontanément envie de connaitre l’histoire des habitants. Sur les murs, les planches encerclent la ville et témoignent du même désir. Le dessinateur embarque à bord de tous les véhicules sur les chemins complexes de cette architecture ambulatoire.
Thierry Van Hasselt a pris connaissance du travail de Marcel Schmitz dans le cadre de la « S » Grand Atelier, une association installée au cœur des Ardennes belges depuis près de 25 ans, qui accueille des artistes handicapés mentaux et développe des ateliers de cocréation avec des artistes contemporains. Marcel Schmitz est trisomique. Anne-Françoise Rouche, la directrice de l’association le martèle, « la mission de l’association est artistique. En aucun cas, il ne s’agit d’art thérapie, car les artistes résidents ne sont pas en position de souffrance. Le handicap est un obstacle, à nous de trouver les moyens de le surmonter, en luttant contre l’infantilisation et les relations de pouvoir que ça implique. Apprendre est un droit humain fondamental. L’association vise ainsi à faire reconnaître les compétences de ces artistes et à les accompagner dans leur projet créatif». Marcel Schmitz a ainsi appris à la « S » des notions de perspective qui enrichissent son vocabulaire architectural. La rencontre avec Thierry Van Hasselt lui a ensuite ouvert l’horizon de tous les lieux où il a voyagé en résidence, emmenant sa ville avec lui, incorporant des batiments de tous les endroits où il a circulé.
Livre reportage, livre d’art, dans la bande dessinée Vivre à FranDisco, le dessinateur s’efface en même temps qu’il témoigne de sa fascination pour l’univers visuel de l’architecte. Les planches évoquent avec un réalisme saisissant les lieux qu’on reconnaît à nos pieds. Les personnages dessinés par Marcel y côtoient les personnages réels et chaque fois le dessinateur se laisse conduire et guider par celui qu’il intègre à l’échelle de sa ville.
La liste des personnages « par ordre d’apparition », en page de garde sert de seul repère dans un récit qui oscille entre réalité documentaire et imaginaire, abolissant la frontière de la ville à la maquette, en confrontant sur le même plan, les œufs du petit-déjeuner à Genève ou les déambulations rocambolesques à travers les rues de FranDisco en compagnie des enfants de chœur et de Saint Nicolas, à bord d’un sous-marin, d’un drakkar ou d’un cornet de frites.
D’un trait léger qui laisse la trace des repentirs, Thierry Van Hasselt ne cherche pas à déchiffrer ou interpréter, il voyage en se laissant porter dans cette ville où il reste étranger, touriste, comme nous, en visite, à la recherche d’une rencontre, d’une occasion, d’un accident. Le dessin suit le chemin et le rythme de la création, un chemin qui conduit à la couleur et à Vasarely, dont l’irruption dans le livre, m’a presque réconciliée avec la Fondation.
Lucie Servin
Vivre à FranDisco, Marcel Schmitz, Thierry Van Hasselt, Fremok, 72 pages, 24 euros, en librairie le 22 avril 2016
Exposition jusqu’au 21 mai à la Fondation Vasarely.
renseignement pratique ici
[…] et pionnier des arts numériques. Et si j’ai enfoncé le clou sur dans l’article sur FranDisco ( à lire ici) au sujet de la fondation fantôme c’est bien le principe architectural, celui de « […]