Le bon rétablissement de Pozla

Le bon rétablissement de Pozla

carnetdesantéLe « Carnet de santé foireuse » de Pozla est un bijou. A 33 ans le dessinateur de Monkey Bizness et collaborateur des Lascars rend compte dans un témoignage intime et drôle de sa maladie et par la même occasion, de l’essentiel de la vie, la santé.

Imaginez la prouesse, parvenir sur 350 pages à parler de merde sans une seule fois tomber dans le lourd ou le scatologique. Avec cette élégance, Pozla pousse le lecteur à se tordre avec lui de rire et de douleur. En 2011, le dessinateur se fait opérer de la maladie de Crohn, « une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, (MICI)  multifactorielle, qui peut atteindre tout le tube digestif (de la bouche à l’anus) et touche plus souvent le colon et l’intestin grêle. Débuts lents et insidieux. Diarrhées, douleurs abdominales. » Pozla a comme un alien dans le ventre, une souffrance qui fait des toilettes son meilleur ami. « T’as l’impression de te faire violer par tes chiasses ? » lui demande sa cuvette.

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C’est drôle même si ça fait mal. Le dessin catharsis exprime, développe, dans un rendu vibrant, dégueulant d’intestins et de tuyaux. Car si Pozla dessine c’est d’abord pour détourner sa douleur. « Mon carnet est un puissant antalgique, il a le pouvoir d’absorber mes souffrances, de distordre le temps, d’effacer mon corps, de me transposer. Les hachures me rassurent. Esprit happé, mon corps s’apaise. Quand mon stylo se pose sur la feuille, trace, gratte, noircit la page, la douleur s’estompe… Une manière de transformer toute cette merde en une petite satisfaction quotidienne. » La plume noire met les traits sur la souffrance, décrit les évolutions, les stades en métamorphoses graphiques. Les gammes chromatiques de la couleur en décrivent les degrés, l’intensité, les pics, les explosions. Et c’est beau, cette diarrhée dessinée qui asperge les pages.

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Compilés dans son livre, les croquis réalisés sur le vif sont indiqués par un tampon qui représente un intestin. L’auteur a ensuite reconstruit la narration de sa rémission en développant sur cette base.  Il livre au passage un truculent portrait de l’hopital public, du personnel soignant, de ses aberrations et de ses compétences. Humour et mises en scène, deux corbeaux font les paris en face de l’hôpital. Pozla reconstitue les différentes séquences, l’histoire de sa maladie, son opération, ses rechutes. Il scande les chapitres par des dessins qui disent tout ce que l’on ne peut pas dire, jusqu’à l’abstrait, incrustant de petits poèmes, des apostrophes collées sur des post-it verts. Tendre, dur, émouvant, ce véritable parcours du combattant rend surtout hommage à l’entourage, à l’amour de sa mère, de sa femme et de sa fille, aux liens qui l’unissent à la vie. « Boire, manger, dormir, déféquer, t’en enlèves un, tu crèves ! » Pozla se révèle ici dans toutes ses qualités d’auteur, aussi bien dessinateur que scénariste. Reste à lui souhaiter le meilleur rétablissement et le succès de son régime ancestral.

Lucie Servin

Le Carnet de Santé foireuse, Pozla, Delcourt, 368 pages, 34,95 euros

Présentation avec l’interview de l’artiste sur le site de Delcourt.