Les délices franco-canadiens de Notre-Dame du Lac

Les délices franco-canadiens de Notre-Dame du Lac

couvtom8La grande cuisine nourrit la série Magasin général, réalisée à quatre mains par Régis Loisel et Jean-Louis Tripp. A l’occasion de la sortie du tome huit, quelques secrets de fabrication en guise de mise en bouche.

« Rien que des affaires de ventre”, ainsi parle la voix off incarnée par le mari défunt de Marie, une jeune et jolie veuve qui doit s’occuper seule du magasin général depuis la mort de son époux. Déjà huit tomes que les lecteurs suivent la saga et les bouleversements de cette petite bourgade perdue de la province du Québec. Au programme de ce tome huit : la réouverture du restaurant La Raviole à Notre-Dame du Lac, après le départ des hommes, l’arrivée de l’hiver et les préparatifs de Noël.Magasin-general-Voici deux ans que filent les saisons dans ce petit village niché au fond de la campagne québécoise. Depuis la mort de Félix, l’époux de Marie et l’arrivée de Serge, le vétéran de la Grande guerre, toute la vie s’articule autour du magasin général, l’indispensable poumon de ravitaillement du village et du nouveau restaurant, fondé par Serge, un étranger qui introduit dans la vie rustique de la communauté le goût pour le raffinement et le luxe. Comme dans Astérix où le banquet final donne lieu à un véritable rituel, les recettes préparées par Serge et Gaëtan, l’idiot du village qui se découvre des talents culinaires prodigieux, ponctuent un récit où le bonheur des personnages à déguster les bons petits plats n’a d’égal que l’appétit aiguisé des lecteurs à l’évocation de toutes ces recettes alléchantes.

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UNE CUISINE FRANCO-QUÉBÉCOISE

Un écriteau renseigne à droite de la devanture de la boutique, “Restaurant La Raviole, Fine cuisine franco-canadienne.” L’histoire de cette série, inspirée par Régis Loisel, se déroulait initialement en France et la rencontre avec Tripp à Montréal a dé-terminé la transposition de l’aventure au Québec. Pourtant, toutes les recettes sont inspirées par la cuisine française à com-mencer par la raviole, la spécialité de Serge, un plat mis au point au XIXe siècle et labélisée depuis la fin des années 1980 sous l’appellation Raviole du Dauphiné. Composée d’une pâte de farine de blé tendre, d’oeuf et d’eau qui entoure une farce à base de comté, de fromage blanc et de persil, la raviole est une de ces re-cettes dont le secret tient de la simplicité. Mais Magasin général constitue aussi une saga docu-mentaire et naturaliste sur les us et coutumes de la campagne québécoise des années 1920. Le réalisme prévaut dans ces planches aux gra-phismes exceptionnels, fruits d’une collaboration unique en son genre puisque les deux dessina-teurs ont travaillé de concert, à quatre mains, Loisel proposant les croquis que Tripp sublime par son talent de sculpteur des ombres. L’en-quête historique et so-ciologique poussée, réalisée en amont, témoigne de cette volonté, et si le restaurant est au coeur de l’histoire, le duo n’a de cesse de faire des aller-retour entre les produits et les plats, depuis l’approvisionnement et les préparatifs jusqu’à la dégustation à table. Egorgement du cochon, gavage des oies pour le foie gras, plantation de plantes aromatiques, cueillettes des champi-gnons… Le souci du détail révèle une technique habile pour conjuguer le rude climat canadien et l’exigence de diversité d’une cuisine française déracinée.

LES RECETTES DE CHEZ MAXIM’S

maxims“Un repas chez Maxim’s, c’est tout un poème, c’est une symphonie de saveurs, un régal pour les yeux, un feu d’artifice pour les papilles…”, s’exclame Serge devant Marie qui dans sa campagne perdue de l’autre côté de l’Atlantique ne sait rien de la vie parisienne. En choisissant de faire de Serge un ancien amant du chef cuisinier d’un des restaurants parisiens les plus réputés de l’époque, les auteurs de Magasin général n’ont pas lésiné pour élever le niveau dans le raffinement culinaire. Aujourd’hui, le restaurant a perdu de sa superbe, mais à la Belle Epoque l’établissement, situé 3 rue Royale à Paris, était connu pour sa cuisine et son élégance. Inauguré le 21 mai 1883, le bistrot fondé, par Maxime Gaillard, un ancien garçon de café et son ami Georges Everaert, devient le rendez-vous des milliardaires, des princes, des comédiens et des chanteurs d’opéra de la capitale. Eugène Cornuché, qui rachète Maxim’s en 1900, fait appel aux artistes de l’école de Nancy et à Louis Marnez pour redécorer l’établissement dans un style “art nouveau ” à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris (1). Tous ces petits détails empruntés au réel truffent cette saga dont le huitième tome garantit encore la qualité. Une bande dessinée authentique qui place “les affaires du ventre” et les petits plaisirs du quotidien au centre d’une intrigue ordinaire dans un savoureux retour à l’essentiel.

Lucie Servin 

(1) Maxim’s, miroir de la vie parisienne de Jean- Pascal Hesse, Éditions Assouline, 192 pages, 60 euros, un beau livre illustré comprenant des recettes historiques du légendaire restaurant.

A TABLE AVEC SERGE BROUILLET 

A la carte du restaurant La Raviole : foie gras, grignotins des anges, croquants de l’empereur, cuissot de chevreuil en poivrade, poêlée de bolets, brochettes marinées, autant de plats dont le simple énoncé suffit à faire saliver les lecteurs.

 

canardtourd'argentLE CHOCOLAT ET LE CANARD AU SANG DE LA TOUR D’ARGENT

Grand rival de chez Maxim’s au début du siècle, La Tour d’Argent est restée un des restaurants parisiens les plus réputés. Les auteurs de Magasin général ont forgé les goûts et la cuisine de Serge en fonction des recettes de ces grands établissements que le héros a fréquentés à Paris. Depuis le XVIIe siècle, le chocolat devient une spécialité. Passionné, Serge prépare avec amour ses truffes à la liqueur de prune ou encore sa charlotte au chocolat arrosée de Porto. Mais c’est surtout le canard au sang, une recette évoquée et glissée dans la BD qui a fait le renom du grand restaurant. C’est Fredéric Delair qui rachète l’établissement et codifie ce plat à la fin du XIXe siècle : depuis chaque canard est numéroté jusqu’à nos jours.

-> Le site de la tour d’argent