Aux fourneaux avec Guillaume long, le blog d’un cuisinier dessinateur

Aux fourneaux avec Guillaume long, le blog d’un cuisinier dessinateur

 

Avec humour et pédagogie, quand la BD donne envie de se mettre à table.  Amateur de café à l’italienne, collectionneur de boîtes de sardines, Guillaume long est un bon vivant qui conjugue l’art de dessiner et son goût pour les petits plats avec le don de faire saliver ses lecteurs. Depuis 2009, il nourrit son blog à boire et à manger sur le site duMonde.fr, au gré de ses expériences culinaires. Un succès sur la toile que les éditions Gallimard ont choisi de décliner sur papier et dont le deuxième tome vient de sortir.

“Cuisiner c’est comme faire de la bande dessinée : j’imagine la cuisine comme un décor et les légumes comme des personnages”. Du savoir faire, une pincée d’humour et une bonne dose de créativité. A 35 ans, Guillaume Long est né et vit à Genève mais est originaire de la Drome, une région au pied des alpes où il fait bon vivre et bien manger dans la tradition provençale. Sa passion pour la cuisine, il la cultive dans les jupes de sa mère et auprès de son entourage depuis l’enfance. “Jusque vers 10-11 ans, nous habitions dans une maison jumelée où l’on partageait la terrasse avec nos voisins, une famille marocaine. Heureusement pour nous, nous nous entendions très bien et j’ai goûté très jeune aux tajines, couscous ou autres délices orientaux.” Son goût pour les bons petits plats se double d’une attirance pour les activités créatrices en général car comme il l’affirme. “La cuisine est un art où la créativité s’exprime aussi bien qu’avec un pinceau.”Diplômé aux Beaux arts de Saint Etienne, il se spécialise dans la vidéo et l’animation et se retrouve un peu par hasard à faire de la bande dessinée.

La puxisardinophilie

A 22 ans, Guillaume commence sa collection de boîtes de sardines, une appellation qui englobe pour lui tous les fruits de mers marinés dans l’huile d’olive.“Il faut bien avoir une collection pour se démarquer des autres, et aussi avoir un héritage à léguer à ses enfants.”Commente-t-il en souriant et en confessant s’être rendu en pèlerinage dans la mythique Conserveira de Lisboa,spécialisée dans les conserves de la mer.  Aujourd’hui à la tête de près de 800 boîtes, les déménagements successifs ont petit à petit freiné ses acquisitions compulsives, mais il nourrit toujours le rêve d’illustrer un jour une de ces boîtes.  Cette véritable obsession pour les sardines, dont il se plait à utiliser le nom savant de puxisardinophilie (désignant la collection de boîte de sardines),  est sans aucun doute la métaphore d’un for intérieur, qu’il exprime dans ses deux premiers albums de BD où il décrit les aléas et les petits riens de sa vie étudiante, comprimée dans l’anonymat d’une boîte de conserve. “Au départ, je souhaitais reprendre contact avec un ami des Beaux arts que j’avais perdu de vue. J’ai écrit une lettre de souvenirs sous forme de BD et j’ai finalement décidé d’envoyer le projet à un éditeur. Bien lui en a pris, publiés en deux volumes sous le titre de Comme un poisson dans l’huile et Les Sardines sont cuites, le deuxième tome, en 2003, obtient le prix Töpffer, décerné par la ville de Genève.

J’ai toujours adoré la bande dessinée. Tout petit,  j’ai dévoré les grands classiques, de Thorgal à Michel Vaillant, en passant par Spirou, Gaston, Tintin, Ric Hochet ou encore Alix mais je m’imaginais qu’il fallait être un excellent dessinateur pour oser composer une planche. Or je ne me suis jamais considéré comme tel.”Selon l’adage, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, à force de travail, Guillaume s’initie en autodidacte à l’illustration et commence à dessiner pour la presse jeunesse, comme dans j’aime lire ou Astrapi, honorant par ailleurs tous types de commandes. De 2007 à 2009, il dirige la collection “Somnambule” aux éditions La joie de lire avant de se consacrer de plus en plus à la bande dessinée, “pour la jeunesse et la vieillesse” comme il aime le dire. Grand admirateur de Quino, le créateur de Mafalda, son trait révèle des influences qu’il pioche davantage dans l’illustration que dans la BD avec des auteurs comme Maurice Sendak, Pef ou Mordillo.

Un esthète du café à l’italienne

En dehors des sardines et de l’huile d’olive, Guillaume est un grand amateur de café, esthète et partisan des cafetières italiennes de la marque Bialetti dont il fait l’éloge dans son blog. En 2007, impressionné par les blogs BD qui se multiplient sur la toile, il crée son premier Blog, un café un dessin, publiant ses carnets de dessins réalisés lorsqu’il boit son café et dispose d’un peu de temps à tuer. Croquis de comptoir pour un premier blog expérimental qui retrace comme un journal de bord les recherches graphiques d’un artiste qui aime aussi se remettre en cause. N’a-t-il pas réhabilité dans ses notes la marque Nespresso reconnaissant à posteriori la qualité des cafetières à capsules ? Guillaume est un esthète, un puriste qui déteste le goût des petits pois en conserve mais que la curiosité pousse à dépasser ses préjugés avec un sens de l’autodérision assumé. On rit devant ses difficultés à retrouver le mode d’emploi d’une machine à faire des œufs carrés, cadeau reçu avec le magazine Pif Gadgeten 1983, exhumée du grenier de ses parents. On suit avec le même plaisir ses récits de voyages, ses découvertes, ou ses délires comme la danse du Burger King ou son rêve d’un apéro avec Sarko. S’il n’a pas le bec sucré, il n’a pas son pareil pour sublimer les pâtes, les salades ou les risottos qu’il assaisonne tous azimuts en fonction des saisons.Car son secret réside dans son goût de la découverte et son amour des ingrédients. La courge spaghetti devient une star, la tomate sarde un met des plus raffinés.  Guillaume cuisine avec simplicité ajoutant juste ce qu’il faut de sel pour relever les recettes les plus banales et faire l’éloge de la convivialité. Il est à la cuisine ce que Marion Montaigne dans son blog Tu mourras moins bête est à la science, où la tonalité humoristique sert à agrémenter un propos sérieux et documenté.

D’un projet d’encyclopédie culinaire au blog rémunéré

Au menu des saynètes imaginées sur papier, converties en numérique sur un blog en lecture verticale, pour finalement revenir à une mise en page sur papier. Voici la recette du blog à boire et à manger, une aventure initiée en 2009, sur le site du Monde.fr et prolongée en deux albums parus aux éditions Gallimard. Depuis une dizaine d’années, Guillaume ambitionnait de se lancer dans une expérience folle : un livre de cuisine sous forme d’encyclopédie, une somme en mille pages, une sorte de grimoire qu’il aurait sans doute mis des années à concevoir, l’œuvre de toute une vie. Devant les difficultés de soutenir un tel projet face à un éditeur, l’opportunité est venue d’ailleurs, d’une amitié forgée avec Martin Vidberg, qui animait déjà sur le site du monde.fr un blog humoristique aujourd’hui célèbre l’actu en patate. Martin m’a indiqué l’ouverture d’une nouvelle rubrique gastronomique et m’a recommandé auprès de Boris Razon alors rédacteur en chef du monde.fr.“explique Guillaume. La balle était dans son camp. “J’ai envoyé mon CV et Boris Razon m’a rappelé en me demandant si je connaissais Le Gourmet Solitaire de Jiro Taniguchi dont à cette époque je n’avais pas entendu parlé. A partir de là, j’ai bluffé en expliquant que c’était exactement ce que j’imaginais.  Il m’a laissé un mois pour me préparer. ” Un défi à relever pour une récompense de taille, puisque Guillaume rentrait d’office dans la catégorie très sélecte des blogs rémunérés. Le financement provient des visites, un système bien plus juteux qu’il n’y paraît à la faveur du succès du blog auprès des lecteurs du célèbre quotidien en version numérique. “Un des principaux intérêts de publier sur le site du monde réside dans l’élargissement de l’horizon de mon lectorat auprès d’un public diversifié et pas forcément passionné par la bande dessinée. Les commentaires animent de nombreux débats qui m’inspirent et je profite de cette gratification immédiate et motivante sur mon travail. ” Confie Guillaume qui n’a pourtant pas fondamentalement changé sa manière de travailler.

Je réalise toujours mes planches sur papier me contraignant à créer mes cases selon un gaufrier classique afin de pouvoir ensuite les découper à la largeur normée du blog. Je réalise mon crayonné en bleu avant l’encrage afin d’éviter de gommer lorsque je scanne les dessins pour rajouter les couleurs sur ordinateur.” Explique-t-il.Une recette bien huilée qui permet de conserver des planches facilement publiables ensuite sur papier. Ce processus a séduit les éditions Gallimard, qui après avoir édité un premier tome vendu à plus de 12 000 exemplaires et traduit en plusieurs langues viennent de publier un deuxième tome sous-titréLes pieds dans le plat.

Démocratiser la cuisine

A boire et à manger est bien plus qu’un blog de recettes ou de gastronomie, l’idée est bien de compiler des notes, des astuces, des anecdotes, des bonnes adresses, des recettes mais aussi d’offrir une présentation des ustensiles ou des produits dans un ensemble vivant où l’on partage le couvert avec des personnalités attachantes et gourmandes. Inspiré par le livre de l’écrivain britannique Ben Schott Les Miscellanées de Mr Schott, à boire et à manger rassemble une “collection de petits riens essentiels”, une compilation de tout ce qui approche l’art et les plaisirs de la table. Car l’objectif est de raconter la cuisine, alliant la simplicité de la popote familiale au raffinement de la grande gastronomie, de montrer les possibilités infinies et ludiques de recettes accessibles même pour le cuisinier débutant et amateur.

A la bonne franquette, avec un art consommé de la narration, Guillaume brode des histoires s’inspirant de sa vie quotidienne, de ses petits travers, de son chat et de son entourage dans un ensemble animé par des mises en scène loufoques de personnages savoureux comme le délicieux Pépé Roni, choisi pour le jeu de mot qui offre de véritables leçons de vocabulaire intelligentes déclinées en petit strips amusants. La clé d’une réussite où l’ambition louable de “démocratiser” la cuisine rencontre la distanciation nécessaire dans un univers désopilant. Aujourd’hui à boire et à manger s’est imposé comme le rendez-vous des gourmets sur la toile, sonnant l’heure pour tous de se mettre à table.

Lucie Servin

Anecdote : dans son blog consacré à la série AâmaFrederik Peteers a glissé Guillaume Long dans le tome 3 à paraître. Un personnage qui colle assez bien au cuisinier à en juger par les croquis mis en ligne.

-> Retrouver l’article consacré à Aâma dans notre numéro 38 de BDSphère 

Bibliographie BD (hors albums jeunesse) de Guillaume Long

Comme un poisson dans l’huile, Vertige Graphic, 2003
Les Sardines à l’huile, Vertige Graphic, 2004
Anatomie de l’éponge, Vertige Graphic, 2006
La cellule, KSTR, 2008
A boire et à manger, tome 1, Editions Gallimard, 2011
A boire et à manger, tome 2, les pieds dans le plat,  Editions Gallimard 2012