Sur le divan de Vaïnui de Castelbajac, l’humour comme thérapie

Sur le divan de Vaïnui de Castelbajac, l’humour comme thérapie

 

© Alessandra d’Urso

Une tête blonde, une coupe garçonne, un prénom d’origine tahitienne comme sa mère, Vaïnui est une de ces artistes dont l’humour ne peut laisser personne indifférent. Venue du monde de la publicité, elle travaille depuis trois ans en illustratrice free-lance et se lance aujourd’hui dans la BD avec la promesse de voir éditer sa série sur le Docteur Rorschach par Delcourt l’année prochaine. Portrait d’une dessinatrice de talent qui déconstruit les clichés pour mieux nous faire rire et ébranler  nos préjugés.

 

A 30 ans, Vaïnui de Castelbajac exerce ses talents d’illustratrice dans différents domaines. Depuis toute petite, elle n’a qu’un rêve : celui de devenir dessinatrice de bande dessinée. A neuf ans, elle se déguise en scout pour vendre à son voisinage sa toute première bande dessinée réalisée avec un de ses amis, le Zigoto magazine, une production artisanale et photocopiée qui raconte les histoires entre une tomate, un bonbon et une endive. La petite fille grandit et lit tour à tour les BD de son père, lui même collectionneur se passionnant pour Franquin, Tintin, Boule et Bill  et apprenant les gags de Gaston Lagaffe par cœur. Originaire de Toulon où elle vit jusqu’à son adolescence, elle monte à Paris avec ses parents. D’un tempérament joyeux et festif, elle devient une grande habituée des sorties et des nuits parisiennes. Après une école de graphisme, elle se retrouve un peu par hasard à faire un stage dans une agence de publicité et devient directrice artistique pendant 8 ans dans le secteur.

En grandissant elle diversifie ses influences, s’inspire du style de Voutch, venu comme elle de la publicité, admire les croquis de Loisel, le trait de Sempé, l’humour de Reiser ou Vuillemin, les illustrations de Oliver Tallec. Ouverte à tous les styles, elle s’enrichit au contact d’artistes d’horizons très différents comme Alëxone issu du graffiti ou encore l’illustrateur MacBess. Après avoir travaillé comme directrice artistique dans plusieurs agences de publicité (Leg, Clm BBDo, H ou Scher Lafarge), elle abandonne le milieu, il y a trois ans pour devenir illustratrice freelance et réalisatrice de film d’animation, représentée par l’agent Marie Bastille.

De la pub à la BD

Vaïnui continue à dessiner pour la pub, une activité qui lui assure une rémunération suffisante pour mener à bien ses différents projets. Elle collabore pour différentes marques comme Ben & Jerry’s, Eurostar, Nike, Citroën, SFR, SOSH, SNCF ou encore Snickers… Artiste recherchée, elle participe à une campagne de publicité pour le célèbre hérisson de Spontex ou encore pour Citroën dans la série de clips où la voiture se transforme en robot.

Récemment,  elle a réalisé pour Orange des coques d’Iphone for SOSH en réutilisant des illustrations conçues pour la Saint Valentin sur le thème de l’amour.

“De la publicité, j’ai gardé la méthodologie et les mécanismes, que j’utilise dans mes processus de création. explique-t-elle. Je cherche d’abord les idées avant de me mettre à dessiner. Chez moi, j’ai même une caisse à idées dans laquelle j’ai noté sur des petits bouts de papier de simples notes que je n’ai jamais utilisées et quand j’ai un moment je tire au hasard une de ces notes pour faire une illustration sur mon blog.” Par le graphisme,Vaïnui affirme une technique issue de la publicité. Elle trace d’abord un croquis au crayon sur une feuille de papier et colorise ensuite sur ordinateur avec Illustrator.  Une technique dite de papiers découpés rendue populaire par des artistes comme Arthur de Pins que Vaïnui admire beaucoup par ailleurs. Ces dessins en aplats de couleurs douces et vives sont à l’image de sa personnalité pétillante et caustique.

“Dans la publicité, on travaille en équipe mais le client a toujours le dernier mot avec l’objectif de vendre son produit si bien qu’on ne reconnaît qu’à moitié ses idées dans l’œuvre finale.” : une des raisons qui poussent Vaïnui à se mettre à son compte, sans renier la pub mais en travaillant en dehors d’agences pour des campagnes plus ponctuelles oucollaborant régulièrement avec des magazines, comme TétuOffice et Culture oul’Express.  Elle réalise ainsi une série pour la promotion des produits laitiers pour la Galerie Milk Factory ou encore une campagne très remarquée pour des lubrifiants, intitulée,“Make it possible” où avec un malin plaisir elle représente des animaux de la manière la plus enfantine qui soit pour un contenu loin d’être innocent. Une poule pond un œuf qui éclot d’un âne, un pingouin, un ours, et une tortue, un morse. Avec son dessin naïf, il ne faut pas s’y méprendre, Vaïnui ne dessine pas pour les enfants. Elle affirme :“Lorsque j’ai essayé de faire des illustrations pour des livres réservés à la jeunesse, cela a été un échec total.” Un humour noir dans une plastique adorable, c’est du décalage que Vaïnui nous fait rire, mettant en scène les clichés et les stéréotypes sans vulgarité, juste pour le plaisir d’une situation ou d’un bon mot qui interpelle les consciences.

Un blog et Facebook, les aventures du Docteur Rorschach

Sur son blog, Vaïnui rassemble comme un book l’ensemble de ses créations, mais depuis trois ans, à la faveur des réseaux sociaux et surtout de facebook, elle s’amuse à proposer des travaux plus personnels dont une série le Docteur Rorschach qui sera éditée l’an prochain par Delcourt.

Un rêve devenu réalité pour cette passionnée qui annonce une arrivée remarquable dans la sphère de la bande dessinée. Vaïnui utilise Facebook comme un blog, un véritable outil de travail pour observer la popularité de ses images ou pour découvrir le travail des autres qu’elle suit par ailleurs assidument depuis Le blog de Frantico jusqu’au blog de Cha Ma vie est une bande dessinée ou La vie désespérée de Guéna à Paris. C’est par facebook que Vaïnui se fait connaître et inviter au Festiblog. Avide de commentaires et de réactions, la dessinatrice aime observer là où son humour est efficace, pourvu qu’il soit accessible au plus grand nombre. Imaginant une série d’histoires simples autour d’un divan et d’un psy névrosé, le Docteur Rorschach, elle s’amuse de ces relations psy/patient qui conduisent à des situations frôlant le ridicule.

En allant chez ma psy, je me suis surpris à dire des phrases qui me paraissaient complètement ridicules et c’est ce qui m’a inspiré ces petits sketchs”. Une poupée russe ressent comme s’il y a plusieurs personnes à travers elle, deux legos imaginent une construction encore possible, un téléphone reproche à l’autre de ne pas être assez tactile. Autant de patients loufoques allongés sur le divan de l’absurde comme pour mieux souligner le dérisoire de ces petites névroses ordinaires.

 

Le parti d’en rire

Vaïnui fait preuve d’une imagination débordante, passée maître des situations absurdes, jonglant avec les jeux de mots, sa source d’inspiration favorite reste les rapports femme-femme. Avec un humour acéré, elle expose au grand jour le quotidien de la communauté lesbienne. Vaïnui ne cache pas son homosexualité, mieux, elle la revendique mais toujours avec légereté. En imaginant les flyers des soirées What’s gouine on organisées par une amie Rag (Dj, organisatrice des soirées Barbieturix), elle commence une série d’illustrations qui met en scène des gags malicieux autour du thème des relations homosexuelles.  De cette première inspiration naissent des strips et des dessins uniques absolument irrésistibles et sans tabouA l’heure des débats sur le mariage gay à la suite de la présentation de la loi au Conseil des ministres mercredi dernier, Vaïnui s’exprime : “L’homosexualité est une thématique que j’ai vraiment à cœur et ces illustrations, même si elles sont accessibles à tous, ne pouvaient être formulés que par quelqu’un du milieu… J’espère ainsi attirer la sympathie pour cette communauté parfois discriminée. On en parle beaucoup, mais pour moi, le mariage homosexuel n’est pas le plus important. En revanche la nécessité de reconnaître légalement l’homoparentalité me semble crucial.” Acquise à la cause, Vaïnui travaille régulièrement pour le magazine Têtu et ajoute régulièrement des illustrations sur ce thème, la manière la plus efficace selon elle pour lutter contre la discrimination.

La loi des séries

“Pour moi, avant le dessin, il y a l’idée”.C’est ainsi que travaille Vaïnui, après avoir trouvé un thème qui l’accroche, la dessinatrice imagine et produit des illustrations par série. En postant une première image de poupée russe sur facebook et motivée par l’engouement du public, elle imagine une première série.De même à partir d’une commande publicitaire pour un restaurant mexicain, elle imagine la série Mexicaine.

Ainsi naissent les séries dans la tête de la dessinatrice, à partir d’un thème imposé ou inspiré par son quotidien, elle creuse et approfondit jusqu’à en être rassasiée. Elle triture, enrichit, crée des illustrations en prenant à contre-pied les stéréotypes, une source d’inspiration inépuisable pour passer un message avec le sourire.

“Actuellement je travaille sur une série bilingue qui traduit des expressions en anglais et en français comme par exemple il pleut des cordes, se dit en anglais it’s raining cats and dogs, j’aime retranscrire ces images révélatrices d’un système de métaphores très différent entre les deux langues.”commente-t-elle.

 

De nouveaux projets 

Vaïnui a développé un style immédiatement identifiable mais ne saurait rester enfermée dans cette case. Après avoir adopté un style très numérique sur Illustrator, elle revient aujourd’hui au dessin à la main à travers sa toute récente série sur la plage, à partir de croquis fait sur une plage nudiste en vacances, admirative de l’aisance de ces plagistes sans complexe. En outre, elle travaille de plus en plus dans la réalisation de petits films d’animation pour une boite de production, Mr Hyde. “J’aime travailler dans l’animation car j’y retrouve l’esprit d’équipe qu’on perd devant sa planche à dessin. Imaginer mes personnages en mouvement est aussi très différent et excitant ”

 

Une activité qui se nourrit de son goût pour le cinéma et qui vient pallier sa frustration de ne pas pouvoir visionner les films en 3D à cause d’un accident bébé qui l’a privée d’un œil. Un handicap qui n’altère en rien le tempérament dynamique et la joie de vivre de cette artiste qui détonne dans la blogosphère comme une véritable arme de dérision massive.

Lucie Servin

 

-> Retrouvez Vaïnui de Castelbajac sur son site, sur facebook, ou encore sur  http://vainui.tumblr.com

-> lisez les aventures du Docteur Rorschach