Idées/Politique - L'éthique et la faillibilité des journalistes

Idées/Politique – L’éthique et la faillibilité des journalistes

 © Image titre Honoré Daumier

« L’homme libre désire le bien. »Spinoza

La déontologie a toujours été liée à la  reconnaissance professionnelle des journalistes et implique directement ses relations avec le public et la société. Elle est l’expression nécessaire de l’autorégulation des médias et de l’éthique journalistique. Elle dicte les conditions inévitables pour construire et restaurer le pacte de confiance et de communication avec le public. Elle s’articule donc sur la capacité critique et autocritique des médias.

L’éthique et la faillibilité des journalistes 

La déontologie ne peut simplement consister en principes moraux généraux dont les mécanismes appelleraient la censure ou l’auto-censure des journalistes. Le média peut-il choisir d’ accepter des pratiques ou des actes théoriquement condamnables pour la finalité du bien commun? L’éthique journalistique doit permettre d’admettre les erreurs, d’exposer le degré de fiabilité des sources et des informations dont le journaliste se porte garant. Elle doit permettre la rectification systématique des erreurs et la libre médiation / communication avec les usagers en garantissant un  droit de réponse.  Le journaliste doit également d’abord se connaître lui même, connaître ses propres préjugés et les contraintes sociologiques de son environnement. De plus, la responsabilité du journaliste est collective, il engage toujours sa personne, ses confrères, son média, le pacte de communication avec son public.

Un discours de la méthode?

L’exigence de la recherche de la vérité est énoncée comme la finalité d’éthique de l’information et préconise d’appliquer un doute méthodique systématique sur les sources .   Ainsi, les journalistes cherchent dans la déontologie «  Un discours de la Méthode ». Cette revendication est légitime et rejoint l’attitude scientifique universitaire qui prévaut dans les sciences humaines et sociales. Cependant le journalisme, dans son support et son format ne peut se substituer à l’article universitaire, ni dans la forme, ni dans l’exhaustivité.  La seule manière d’assurer une autorégulation des médias est d’admettre que la critique de la presse doit appartenir à tous, aux  journalistes  et à l’ensemble  de la société, la qualité de la presse dépend de l’exigence de son lectorat, qui se doit d’ examiner les informations , légitimer ou condamner les pratiques et les normes journalistiques. La dynamique de ces débats ne fera qu’améliorer la qualité et préciser les informations. L’objectivité dans le monde des idées se fonde sur la position critique du questionnement. Les types d’information et les structures de l’esprit du journaliste déterminent la méthode, il existe donc une infinité de positions critiques journalistiques.

 

La nécessité des indépendants 

Le journalisme ne peut pas se considérer comme une profession libérale dans le sens où son activité relève du service public et d’une mission morale pour la société. En revanche, la multiplicité des points de vues journalistiques possibles nécessitent une réelle diversité dans les profils des journalistes. Les études sociologiques montrent que le monde des journalistes a tendance à partager le même milieu socio-professionnel malgré une grande mosaïque de statuts. La capacité d’intégration et l’ouverture des médias aux autodidactes est nécessaire pour le renouvellement de la «caste » journalistique, la diversification des points de vue et l’élargissement des points de recherches. Le pacte déontologique peut servir ainsi d’accès à la profession.

L’exigence de qualité

L’origine et la formation aléatoires du journaliste ne sont pas véritablement déterminantes pour évaluer le professionnel. Mais le journaliste qui exerce son activité doit se montrer à la hauteur de l’analyse en développant un arsenal critique pour le traitement des informations, sa culture et ses connaissances. Contrairement à ce que prétendent certains, la formation universitaire antérieure des journalistes n’est pas obligatoire, pourtant la nécessaire formation continue qu’implique l’activité d’observateur condamne le journaliste  dans une position de perpétuel étudiant.  La déontologie ne doit pas être un simple gage de confiance ou établir des normes déterminées, elle doit remettre en question systématiquement la conscience du journaliste  et les mécanismes qui induisent des recettes faciles de traitements des information. Le conformisme est tout aussi scandaleux pour un journaliste qu’une fausse information.  « La déontologie peut servir d’alibi ». En mars 2002, dans le cadre de la concurrence de la presse gratuite avec Métro, le directeur de la rédaction de 20 Minutes avait présenté une Charte déontologique rédactionnelle. L’argument devait servir à valoriser le contenu du journal.  Alphonse Allais écrivait « si on se mettait à composer des journaux de seules véracités ils tomberaient d’un coup au format de la feuille à cigarette », à condition de confondre certitudes et recherche de vérité. Or dans le cas de 20 minutes, qui ne développe pas l’information, la déontologie de la certitude se désengage de la mission pédagogique fondamentale du journaliste qui consiste à expliquer, rendre intelligible et intéressant. Initiateur du débat public.

Faute avouée, faute à demi pardonnée! »

La déontologie implique une attitude dynamique et critique des médias sur eux même et un développement des moyens d’assurer cette autocritique par  la médiation du public et de la société . Ces moyens sont de tous types : les Codes déontologiques, des Institutions de contrôle comme les Conseils de Presse, Le CSA, mais aussi à plus petite échelle, un Courrier des lecteurs, un blog du journaliste ou un médiateur.

Le scandale de la manipulation des images  lors de la première guerre du Golfe ne s’excuse pas, non plus que la crédulité des journalistes qui ont filmé et répété l’information du faux charnier de Timişoara. L’affaire eut lieu en décembre 1989, lors de la chute du régime Ceauşescu en Roumanie. Elle semble essentiellement due à une compétition et au suivisme des médias entre eux, chacun reprenant l’information du concurrent en l’amplifiant. Le sociologue Pierre Bourdieu a appelé ce phénomène « la circulation circulaire de l’information ».

La temporalité journalistique 

La déontologie doit prendre en compte les différents types de journalisme, et en particulier la dimension pratique et temporelle du métier. En effet, les conditions de travail sont radicalement différentes pour celui qui doit produire le traitement rapide de l’information, le journalisme  dit « d’actualité » et le journaliste dit  d’investigation ,  chargé de mener une véritable enquête ; pour celui  qui doit rendre compte immédiatement et simultanément de l’actualité et celui qui présente une analyse. Le journalisme jongle  sur plusieurs temporalités. Il traite du présent et de l’actualité , donne à comprendre  le passé tout en formulant des hypothèses ou en annonçant des certitudes pour l’avenir.

« Dans la presse, seules les publicités disent la vérité. »Thomas Jefferson

 

NOTION 

Les « M*A*R*S »

(moyens d’assurer la responsabilité sociale)

Le concept, défini par Claude-Jean Bertrand, est global et concerne tout les moyens non étatiques utilisés pour rendre les médias responsables. Ce sont les outils de la déontologie pratique.  L’auteur concède toutefois que  « si chacun des M*A*R*S* est utile, aucun n’est suffisant »

M*A*R*S internes aux médias
Encadré de correctionchroniqueur spécialisé

Critique interne

Conseil de discipline

Page ou une émission sur les médias

Circulaire interne

Code de déontologieAudit déontologiques

Conseiller en déontologie

Médiateur ( « l’ombudsman »)

Études d’opinion

Société des rédacteurs

M*A*R*S externes
Revue critiquePetit média contestataire

Rapport/livre critique

Déclaration publique

ONG ou fondations liées aux médias

observatoire des médias

recherche sans but lucratif

Éducation universitaireLes médias à l’école

Association de citoyens

association de défense des consommateurs

société d’usagers

radiotélévision publique

instance de régulation

M*A*R*S coopératifs
Courrier des lecteursPublicité d’opinion

questionnaire d’exactitude et d’équité

consultation des usagers

comité de liaison

Conseil de Presse LocalConseil de Presse régional-national

formation continue

film/émission

 

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Une victoire pour la Camorra,

l’exil forcé de Roberto Saviano

saviano

gomorra

« Je quitterai l’Italie au moins pour un certain temps, ensuite on verra », annonçait en octobre 2008, le journaliste et écrivain Roberto Saviano, dans le quotidien italien, la Repubblica. A 29 ans, l’auteur de Gomorra paye au prix fort le succès de son livre et son engagement contre la mafia. Dans le titre, l’écrivain a choisi un emprunt biblique pour dénoncer les mécanismes de la tristement célèbre Camorra napolitaine contre laquelle il est parti en croisade. Seulement l’œuvre n’a rien d’allégorique.En espion infiltré, Saviano enquête, compile, enregistre et rapporte consciencieusement les faits, en dénonçant nommément les chefs. Son témoignage a depuis permis à la justice italienne de condamner plusieurs d’entre eux. En 2006, après la publication de son livre, Saviano est contraint de quitter sa terre natale et s’exile à Rome. Gomorra devient un Best-seller, publié en Italie à plus d’un million d’exemplaires et traduit en plus de quarante langues. L’adaptation cinématographique de Matteo Garrone sortie en 2008 et sélectionnée pour les prochains Oscars, a déjà reçu le Grand Prix du Festival de Cannes. Saviano, lui, de plus en plus exposé s’enferme dans une solitude forcée. Les nouvelles menaces d’attentat prévu avant Noël et le souvenir de l’assassinat du juge Giovanni Falcone en 1992 ont eu raison du jeune homme qui s’est résigné à fuir. Une victoire pour la Camorra même s’il est certain que cette lutte contre la mafia ne peut être l’affaire d’un seul homme et ne mérite pas ce sacrifice.

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La Commémoration du 11 Novembre

Journalisme et devoir de mémoire

Le général Foch écrivait : « le 11 novembre à 11 heures, le feu était arrêté sur tout le front des armées alliées. Un silence impressionnant succédait à cinquante-trois semaines de bataille. Les peuples pouvaient entrevoir le rétablissement de la paix dans le monde. » 

Pour  le 90e armistice de la guerre de 14-18, le débat sur le devoir de mémoire est plus que jamais d’actualité, après la mort, en mars dernier, de Lazare Ponticelli, le dernier survivant français des anciens combattants de la grande guerre.  Le premier 11-Novembre sans « poilu » a rompu avec la tradition présidentielle. Nicolas Sarkozy a voulu commémorer ce 90e anniversaire de l’armistice comme un « hymne à la réconciliation européenne » en invitant vainqueurs et vaincus.  Plutôt que Paris, où le président n’a pas ravivé la flamme du soldat inconnu,  il a préféré Douaumont pour prononcer un discours devant les restes de 130 000 des 300 000 soldats tombés pendant la longue bataille de Verdun.

Grandeguerre

Dénonçant une inflation vertigineuse des commémorations historiques, un rapport officiel publié ce 11 novembre préconise de réduire le nombre de commémorations de douze actuellement à seulement trois par an. Ce rapport a été rédigé par une commission présidée par l’historien André Kaspi, à la demande de l’Elysée. Il répond à une demande de Nicolas Sarkozy au sujet de ce qu’il perçoit comme un penchant exagéré du pays à la « repentance ». En dehors du conflit des dates, le rapport  montre le désintéressement beaucoup plus préoccupant du public pour les commémorations et la dégradation du devoir de mémoire.

Journalisme et histoire

Cioran ironisait :  « avec le recul plus rien n’est ni bon ni mauvais. L’historien qui se met à juger le passé  fait du journalisme dans un autre siècle ». Le devoir de mémoire appartient  à la vocation pédagogique et responsable des médias, dans leur capacité à produire des jugements et par leur travail d’actualisation et de réactualisation permanent des événements