Fantastique ! Kuniyoshi, le démon de l’estampe

Fantastique ! Kuniyoshi, le démon de l’estampe

afficheDu Japon à la France, de la couleur au noir et blanc, la double exposition consacrée au Fantastique dans l’art de l’estampe au XIXème siècle se déroule jusque 17 janvier 2016, au Petit Palais à Paris. La surabondance des quelques 450 œuvres présentées commande une visite en deux temps. Les deux expositions dialoguent dans les contrastes et les cultures, résonnent de l’écho fantastique, mais ne se conjuguent pas. Cette réserve faite, il faut souligner l’effort pédagogique de présentation des techniques, un soin essentiel pour faire connaître le médium et initier au secret de fabrication des œuvres, critère important pour apprécier le savoir-faire des artistes.

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La première exposition sur Utagawa Kuniyoshi (1797-1861) constitue à elle seule un événement. C’est la première fois qu’une telle rétrospective est présentée à Paris. Kuniyoshi est considéré au Japon comme un des grands maîtres des ukiyo-e (gravures sur bois) au même titre que Kitagawa Utamaro (1753 -1806), Katsushika Hokusai (1760-1849) et Utagawa Hiroshige (1797-1858).  Le « japonisme » se développe en France, avec la commercialisation des estampes japonaises, encore popularisées par les expositions universelles dans la seconde moitié du XIXème siècle. kuniyoshi-estampe-tamura-oyama-sagamiSi Kuniyoshi inspire Monet ou Rodin, l’intérêt des artistes français se porte surtout, sur le traitement des paysages ou de scènes de la vie quotidienne, qui rejoint leurs préoccupations esthétiques. La plus grande partie de l’œuvre de Kuniyoshi reste dans l’ensemble incomprise et occultée. Dans l’exposition, pour donner la mesure, sur les cinq salles thématiques et chronologiques qui rythment le parcours, une seule est réservée à la facette paysagiste de l’artiste. C’est un tout autre visage qui s’affiche au spectateur contemporain.

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Utagawa Kuniyoshi (1797-1861) est originaire d’Edo, (ex-Tokyo) capitale du Shogunat Tokugawa jusqu’en 1868. La ville compte alors plus d’un million d’habitants et abrite de nombreux divertissements populaires, spectacles de toutes sortes, comme le théâtre du Kabuki ou les combats de Sumo. Kuniyoshi est formé dans un atelier d’ukiyo-e, où il apprend les techniques de gravure sur bois polychrome héritant d’une tradition déjà renouvelée  par ses prédécesseurs.

Utagawa-Kuniyoshi-05-572x820Les ukiyo-e, « images du monde flottant », dans leur traduction littérale, sont très en vogue. Elles illustrent les livres et les romans d’aventures, représentent des scènes de genre ou des portraits,  servent à la publicité, traitent de thèmes variés allant de l’érotisme aux paysages.

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Comme Hokusai qui avait illustré le célèbre roman d’aventure chinois « Au bord de l’eau », Kuniyoshi se fait connaître en 1827, par la série des « Cent huit héros d’Au bord de l’eau ». L’exposition s’ouvre sur les combats légendaires, une profusion de détails plastiques où de musculeux guerriers entrelacent des dragons. La théâtralisation exacerbée par l’expression des visages et la dynamique des cadrages répond à l’exubérance des graphismes qui préfigure le manga. Cette dramaturgie formelle fouille dans le détail, les rapports entre les traits du dessin, et les motifs du remplissage. La maîtrise s’exprime ici sur la peau des lutteurs, plus loin dans les kimonos des geishas.

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Kuniyoshi n’a pas peint que des guerriers. Homme de son temps, il met son talent au service de la vie urbaine et des plaisirs de la capitale. Portraitiste, publiciste, il fait la réclame pour les spectacles, la publicité pour les acteurs, peint les geishas et les courtisanes, des femmes, son thème favori, qu’il décline dans les estampes à coller sur des éventails. Un style jaillit, libéré, une explosion expressive qui caractérise et caricature, comme une sorte de jubilation graphique.

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En 1842, le shogunat impose une réforme de moralisation publique qui se traduit par la censure, interdisant aux artistes de représenter les courtisanes, les geishas et les acteurs. A la manière des surréalistes, Kuniyoshi semble avoir conçu sa liberté dans la contrainte. Il contourne la censure dans des mises en scène comiques, des parodies où il transforme ses personnages avec des têtes d’animaux.

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La satire s’efface à son tour, au profit d’une recherche de pure fantaisie graphique avec des réalisations improbables et virtuoses, en puzzle et en ombre chinoise. Cette grande exposition est encore prolongée par un catalogue qui fait la part belle aux reproductions.

Lucie Servin

Exposition jusqu’17 janvier 2016
Ouvert tous les jours (sauf lundi, fériés) 10h-18h, nocturne vendredi jsq 21h
Tarifs : entrée 10€, tarif réduit 7€.
Musée du Petit Palais, Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
www.petitpalais.paris.fr

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