Hips Tits Lips power, Tanx sort les couteaux
Velue. le nouvel album de Tanx est arrivé. Ce conte cruel, féministe et révolté joue la revanche d’une femme Yéti.
« Hips Tits Lips Power », une chanson des Pigface glissée sur un T-Shirt, Nada, le roman noir de Manchette au fond d’une case, une illustration du yéti piochée dans un dictionnaire. Tanx amène par touches des pistes au lecteur et il serait difficile de parler de Velue sans trahir l’histoire. Cette fable fantastique retrace la destinée d’une petite fille pas comme les autres, Isabelle, anormalement poilue. Les indices s’emboîtent en engrenages et les rebondissements donnent toute la saveur à la lecture. Nous ne dirons donc rien du récit, mais nous parlerons du conte et des thèmes qui l’ont nourri : la place de la femme, la violence de la norme et la révolte contre l’oppression.
Les phrases reprises de la « Définition de l’Opprimé » de Christiane Rochefort, lancées en apostrophe, préludent à l’insurrection.
« Il y a un moment où il faut sortir les couteaux.
C’est juste un fait. Purement technique.
(…)
Au niveau de l’explication, c’est tout à fait sans espoir. Quand l’opprimé se rend compte de ça, il sort les couteaux. Là on comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.
Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé. La seule communication audible.
Peu importent le caractère, la personnalité, les mobiles actuels de l’opprimé.
C’est le premier pas réel hors du cercle.
C’est nécessaire. »
La romancière féministe publiait ce texte en 1971, dans la présentation de la traduction française du SCUM Manifesto de Valérie Solanas écrit en 1967 aux Etats-Unis. Ce manifeste a servi d’étincelle au féminisme radical et libertaire dans le contexte des années 1970, pour dénoncer les mécanismes patriarcaux sous-jacents et solidement ancrés dans nos sociétés contemporaines. Le choix du texte de Christiane Rochefort n’est pas anodin. Tanx a longuement lu sur ce sujet pour forger son opinion (1). Ces mots révèlent surtout la portée universelle du combat sur la place des femmes et souligne l’essence de toutes les révoltes, la lutte contre l’oppression.
La dessinatrice murit ce projet depuis 2011. Graphiquement, la bichromie en gris assure la cohérence des pages, rend la profondeur des décors et donne du relief aux traits expressionnistes angoissants des personnages. Découpé en chapitres, en sous chapitres, la construction s’anime des cris des dialogues, accélère en planches muettes où le dessin joue la ponctuation. Indubitablement, Tanx sait raconter les histoires, et on retrouve ici son goût pour la transposition fantastique comme dans ses albums sur les Zombies. (Rock Zombie, 2005 et Faire danser les morts 2013). Prétexte au décalage, le fantastique autorise tout. L’humour est grinçant et une violence libératrice réveille les monstres qui peuplent son univers. Car Tanx(xx) ne fait pas que de la bande dessinée, elle peint, elle grave, réalise des affiches, des tracts, collabore à de nombreux fanzines, publie elle-même les œuvres qu’elle diffuse sur son blog « des croûtes aux coins des yeux », une plateforme où elle vend ses créations et diffuse ses textes, billets d’humeur et réflexions critiques. Artiste de savoir faire et de conviction, la liberté de son imaginaire s’exprime dans la franchise de son trait aiguisé et comme prêt à la guerre.
Sur la voie de la sagesse, la fureur. Elle dit le renoncement aux autres, à la famille, à l’amour, à l’amitié. Elle trouve ainsi la force de faire un pas hors du cercle, de sortir les couteaux en libérant les poils. Velue ! Un appel aux armes pour une formidable parabole sur l’héroïsme de la rébellion.
Lucie Servin
(1) Lire l’auto-droit de réponse de Tanxxx sur son bloug publié le 8 juillet
-> Tanx, Velue, 6pieds sous terre, 88 pages, 13 euros