Killoffer s’impose en maître

Killoffer s’impose en maître

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« Killoffer tel qu’en lui-même », rassemble 51 saynètes déclinées sur le thème de « Killofer en », autant de portraits de l’artiste par lui-même, ou plutôt « en lui même » car chaque épisode explore son personnage en train d’agir, en mouvement. Derrière les tribulations d’un moi solitaire, il y a la quête d’un homme qui aspire à la lune, en bringuebalant son baluchon sur la terre, en passant, en dessinant, en chemin et en action. La qualité graphique fait de cet album un pur chef d’œuvre en noir et blanc.

 

killoferméta

A 49 ans, Patrice Killoffer est un artiste accompli. Cofondateur de la maison d’édition L’Association en 1990, il est de toutes les expérimentations graphiques. Il intègre l’OuBaPO ( L’Ouvroir de Bandes dessinées potentielles) depuis sa création en 1992, collabore à de nombreuses revues ( Labo, Lapin) et dessine régulièrement pour Libération ou le Monde. Les planches qui composent ce nouvel album ont initialement été publiées dans la revue Le Tigre de 2010 à 2015 et c’est en réalisant ce travail que l’idée d’un livre a pris forme. Dans la  continuité des 676 apparitions de Killoffer, publié en 2002, l’artiste se met en scène dans tous ses états, au cœur d’une introspection qui n’est pas sans rappeler dans sa démarche, les Inside de Moebius.

Killo baluchon


Un exercice de style

Un grand format en hauteur, une couverture souple pour une structure réglée. Une pleine page à gauche renvoie à droite sur une planche découpée en damier de 8 cases. La liberté opère en modulations graphiques inscrites dans cette mise en page invariable. A la manière des surréalistes, le cadre sert de contrainte nécessaire à la transgression des limites, et à ce jeu,  Killoffer va loin, insatiable, jonglant avec talent, entre lui-même et son personnage, fluctuant entre sa verve et sa nonchalance naturelle, au point de donner une planche à dessiner à François Ayroles, pour partir en vacances.

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Toutes ses variations relèvent ainsi de l’exercice de style. Et quel style ! En noir et blanc, le dessin de Killoffer subjugue par le trait, un trait précis et virtuose où la perturbation s’installe, dans une parfaite maitrise, harmonieusement troublée par les métamorphoses, et contrôlée dans le juste équilibre des dualités contraires. L’intensité balance au gré des rapports en négatifs, vibre dans les correspondances des contours,  de la mise en scène des lettrages, de la superposition de tracés comme des réalités parallèles. Les décors se renversent, les fumées dispersent, et les motifs s’installent. L’image submerge. Le lecteur s’arrête, revient sur les pleines pages qui, sans leurs pendants scénarisés, semblent composer à elles seules un autre livre. Livre du silence, livre des mots. Les détails sidèrent et les rétines s’émerveillent face à la richesse de cet univers.

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Un personnage en quête de personnalité

« Connard ! ». La bulle tonne en première page à travers une porte close. De dos, sur un pont, Killoffer s’en va. De situation en situation, les récits d’anecdotes ordinaires compilent les considérations et les observations de l’auteur autour de son sujet favori, lui-même. Sujet incontournable s’il en est.

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Suis-je le personnage que les autres font de moi, le personnage que je voudrais être, ou le minable que je suis ? Ainsi s’interroge l’artiste avec une autodérision et un sens de l’humour qui transparait avec son humanité, à travers les chutes et les torsions graphiques. Entre autocritique et autoflagellation, Killoffer exhibe un dialogue avec sa propre pensée plus que sa vie elle-même. De petites vérités éclatent, par moments choisis, instants de réflexions, de sensations, de fantasmes ou de rêves.

MIRROIR

 

La chaussette défaite, la clope au bec, Killoffer en caleçon. Cendrier plein, bouteille vide, Killoffer en pyjama, en tenue d’Adam, en enfer, sur la lune. Killoffer se déguise, en aristo, en prolo, Killoffer en star, en panne, en cosmonaute, en poisson, en costard et en papier peint. La conversation s’enrichit des paradoxes que renferme cet être contradictoire, en déroute peut-être, en décalage certainement, mais un être qui procède d’un élan génial, et qui creuse sa recherche dans le potentiel des cases, des clins d’œil et des résonnances. Que peut le dessin ? Le professeur Killoffer semble répondre en bougeant des lignes et en tirant des traits. Par le processus de création, il trouve le moyen de marquer son emprise sur le temps qui passe. Le cours est magistral. Killoffer repart et dans une dernière image, il fait face, son sourire s’échappe en avant, traverse le chaos apocalyptique du monde. Sa personnalité d’artiste et d’homme rayonne en marche, en devenir, et en question.

Lucie Servin

 

Killofer tel qu’en lui-même enfin. Patrice Killofer. L’Association. 32 €, 108 pages