Permis de Dépêche

Permis de Dépêche

( © image Titre Plantu)

shadocks

©jacques russel

En me lançant à mon tour sur la toile, je me propose de publier ces textes que j’avais écrits en novembre 2008 à partir de mes réflexions autour du métier de journaliste. Un métier que je n’exerçais pas encore. Sous le titre de « Permis de dépêche »,  j’avais ainsi rendu compte de la nécessité d’appliquer la déontologie critique dans les cadres concrets du journalisme. C’est pourquoi, je proposais un classement en rubriques inspiré par la presse généraliste.  J’espère par ce biais initier une réflexion et couvrir un éventail varié des différents types d’informations et des modalités de ce traitement par les professionnels. Avec internet et l’explosion de la blogosphère, chacun peut prétendre devenir journaliste en exploitant à juste titre son droit à la liberté d’expression. Dés lors, le questionnement déontologique est en soi l’unique moyen de différencier les journalistes sur la toile et de valoriser une information de qualité.

Ce dossier est composé de plusieurs articles : 

 LE JOURNALISME A-T-IL BESOIN D’UNE DEONTOLOGIE?

« Un bon journal c’est une nation qui se parle à elle même » Arthur Miller

« La crise de la presse » est bien présente dans les esprits. Baisse d’audience à la télévision, dégringolade de la PQN (presse quotidienne nationale), crise financière, disparition de journaux, scandales politico-médiatiques, internet…  Les sondages d’opinions et les études sociologiques enfoncent le clou, selon eux 30 à 40% des français donneraient foi à l’information fournie par les médias. Les principales raisons évoquées pour expliquer ce discrédit ou cette méfiance sont multiples. Les grands scandales médiatiques et les accusations de manipulation de l’opinion ont sérieusement entaché la réputation de la presse. Les révolutions technologiques, la libéralisation inévitable du paysage médiatique, les paradoxes de l’économie de marché et la question du financement de la presse ont également profondément modifié les pratiques de l’information. Dans l’opinion, on file la métaphore canine, et on distingue dans la meute journalistique les chiens de garde de la démocratie et les « toutous à sa mémère » vendus aux puissants . A tort ou à raison, les journalistes sont volontiers montrés du doigt et exposés aux critiques, mais n’ont ils pas justement vocation à assumer cette fonction?

Ce tableau alarmiste sur l’état de la presse doit être en partie nuancé. Contrairement à une idée reçue tenace,  la déontologie a toujours accompagné la réflexion des journalistes. Le mot d’étymologie grecque renvoie à « ce qui réfère aux devoirs ». La déontologie représente donc l’ensemble des règles de conduite du journaliste vis à vis de ses confrères, de son public, de la société et de lui même. Ces règles, que s’impose le journaliste à lui même et qui lui sont imposées lui, permettent de se représenter son rôle et sa fonction dans la société. En effet, la tautologie qui sert à définir un journaliste comme celui qui exerce le métier de journaliste induit qu’on détermine le journaliste par la manière dont il exerce ce métier. La réalité des médias est plurielle et il est difficile d’établir une déontologie universelle valable pour tous les types de supports et tous les types de travaux journalistiques en dehors des textes généraux référant aux droits universels. Les médecins prêtent serment et rendent compte à leur Ordre, il en est de même pour les avocats lorsqu’ils intègrent le barreau. Les choses sont beaucoup moins évidentes sitôt qu’on aborde la question du journalisme, du devoir d’informer et de la liberté d’expression. Le journaliste dispose ainsi d’une large palette, une gamme étendue de tonalités pour informer et personne ne peut réellement prétendre juger des cheminements de la pensée.

La liberté de presse constitue un pilier de la démocratie et garantit l’existence d’un débat public. L’autorégulation des médias est une des conditions fondamentales pour  garantir l’indépendance de la presse à l’égard du pouvoir. C’est pourquoi même si l’activité journalistique s’intègre dans un cadre légal, les limites imposées à la liberté d’expression appartiennent d’avantage à la morale ou à une éthique professionnelle. Les médias ont connu des bouleversements radicaux et  structurels ces dernières années. La multiplication rapide des nouveaux supports technologiques provoquant des évolutions irrémédiables des comportements de réception. Ces changements impliquent une redéfinition fondamentale de la valeur de l’information et de la fonction du journaliste. Ces dernières décennies, la multiplication des procès contre les médias a eu pour conséquence directe de renouveler profondément les débats sur la déontologie. Même si, dans bien des cas, la déontologie instrumentalisée est utilisée comme un rempart aux accusations portées contre la presse, cette introspection identitaire a abouti à multiplier les recherches sur l’éthique journalistique, ouvrant de nombreuses perspectives et une abondante bibliographie émanant de tous les milieux, journalistique,  politique, ou universitaire.

Aujourd’hui, les journalistes se retrouvent concurrencés dans le paysage médiatique par de nouvelles stratégies de communication (publicité, marketing, production politique, littéraire…) de plus en plus entreprenantes. Pour garantir une information désintéressée,  restaurer le pacte de confiance avec le public et recentrer l’exigence journalistique sur la recherche de la vérité, les besoins déontologiques de la profession se font de plus en plus pressants. L’évolution de la presse a toujours été liée aux pratiques de réception des médias par le public et à l’existence d’une opinion publique. La valorisation de l’information journalistique s’articule pour de nombreux sociologues, tant sur la qualité de l’analyse des journalistes que sur la transparence et les capacités de médiation des médias avec la société et le public. Cette déontologie dynamique s’inscrit ainsi dans un  projet de critique et d’autocritique des médias en interaction avec le monde qui les entoure. Elle paraît indispensable pour la crédibilité de l’information.

Les réflexions sur la liberté de la presse et les devoirs du journaliste appartiennent à la société entière et se  réactualisent en permanence. Pour les journalistes la question est de résoudre un problème méthodologique fondamental. Le journalisme comme les sciences humaines en général doit se résoudre à admettre les limites de l’objectivité et considérer la faillibilité des démonstrations et des interprétations. Le journaliste à la différence du scientifique a le droit de juger. Sur quelles valeurs doit-il fonder son jugement critique? Le quotidien du journaliste peut expliquer des erreurs, des approximations, ou une certaine baisse de vigilance critique. La conscience du journaliste l’oblige à répondre de ses faiblesses. Le professionnel est aussi responsable vis à vis de sa rédaction ou de la structure collective avec laquelle il collabore. Il faut donc penser cette déontologie à l’échelle collective et rédactionnelle, notamment dans la hiérarchisation des contenus, et l’appliquer dans une vision générale et un panorama détaillé dans l’ensemble des médias. Favoriser, par exemple le développement de tous les types d’organes de médiations, d’observations ou d’autorégulations des médias est le moyen approprié pour envisager un dialogue et une critique dynamique des médias. Le débat déontologique s’inscrit ainsi dans la nécessité de réconcilier le public avec l’information en élaborant des critères  de qualité. Le principal obstacle réside dans le financement car les  grands médias s’intéressent peu à cette stratégie et la visibilité des études universitaires est trop réduite.

 

 « Bien informer » : un service public

La déontologie fixe les devoirs du journaliste. Le droit suffit-il à déterminer la responsabilité des journalistes? John Adams, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis, écrivait en 1815, en parlant à ses successeurs : «la réglementation de la presse est le problème le plus difficile, le plus dangereux et le plus important qu’ils auront à résoudre ». La liberté de presse est une des garanties  de la démocratie, décrite dans toutes les déclarations universelles des droits de l’homme comme une liberté fondamentale.  Elle engage également la responsabilité du journaliste : les droits garantissant sa liberté, les devoirs, son champ d’action.  La liberté de presse se distingue, en revanche de la liberté d’expression car elle engage une responsabilité publique par le processus de publication et collective.  « C’est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir» affirmait Chateaubriand. Les revendications journalistiques se fondent ainsi sur la défense d »« une fonction sociale majeure » , le devoir d’informer qui répond au droit du citoyen à être « bien informé ». L’efficacité de la presse se traduit par le succès de cette mission initiale de « bien informer » . Cette notion reste vague et doit être précisée selon des critères déontologiques précis qui définissent les fonctions et les méthodes du journaliste. Le journaliste doit observer le milieu environnant, assurer la communication sociale, fournir une image du monde. Les imbrications de ces différentes fonctions est une réalité permanente pour tous les journalistes. La déontologie doit lui permettre de répondre à la manière de procéder.

La presse : «  un quatrième pouvoir? »

L’indépendance de la presse vis à vis du pouvoir est fondamentale et il est préférable pour ne pas provoquer la censure de garantir une indépendance maximale des journalistes vis à vis du droit. L’action d’un journaliste s’inscrit toutefois dans un cadre légal et certaines restrictions sont expressément fixées par la loi et nécessaires au respect des  droits et de la réputation des personnes (diffamation, discrimination, injure, image, mineurs…) . Les incitations à la violence, la provocation au trouble de l’ordre public, la publicité en faveur de produits sont également punis. Dans l’ensemble, le cadre légal reste assez souple. Des ajustements comme la loi Guigou en 2000 sur la présomption d’innocence cherchent à limiter l’interférence entre la justice et les médias. Le droit a donné au journaliste des acquis intouchables et indispensables pour la démocratie et le débat public. Une régulation politique de la presse est  dangereuse, si bien qu’on admet un principe d’autorégulation soit par des moyens externes (codes ou conseils) soit en interne par l’exercice d’une déontologie critique et la formulation des principes et des valeurs engageant la responsabilité morale des médias.  La presse doit en outre  aussi être un moyen de « demander des comptent à ceux qui nous gouvernent ». Elle nécessite une indépendance complète et pose la question épineuse de l’accès aux sources et de la protection du secret des journalistes. Kundera écrivait « le plus grand pouvoir des journalistes n’est pas de poser une question mais d’exiger une réponse » à condition pourtant que le journaliste ne se substitue pas à l’enquêteur. La zone est obscure et il n’y a pas en France de politique claire. Les perquisitions et les gardes à vue sont un recours judiciaire possible dans certaines affaires.

 

Quelques articles de droit

  • La déclaration de 1948, article 19 :

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.»

  • A défaut de code déontologique, les journalistes possèdent une Charte, La Charte d’éthique professionnelle des journalistes énoncée en 1918, reprise en 1938 et 2011.

Lire la Charte des journalistes 

  • Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article XI)  :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »

  • Constitution de la France (article 34) :

« La loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias. »

  • Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (Munich, 1971) :

le SNJ, qui fut à l’initiative de la création de la Fédération Internationale des Journalistes, en 1926 à Paris, est également l’un des inspirateurs de cette Déclaration qui réunit l’ensemble des syndicats de journalistes au niveau européen.

  • Dans le droit Européen

« La liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». 

  • Convention européenne des droits de l’Homme, Conseil de l’Europe de 1980 (article 10) :

« 1 Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. »

    « 2 L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités,conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

REPERES

1881 : loi sur la liberté de la presse,  définit les libertés et responsabilités de la presse française, imposant un cadre légal à toute publication, ainsi qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique. Le texte limite l’exercice et incrimine certains c« délits de presse » comme art11 injure et diffamation.

1894-1906 : « L’affaire Dreyfus ». En 1898, Zola publiait son article « J’accuse » contre la machination antisémite dont fut victime le capitaine Alfred Dreyfus. Cet article est devenu un mythe et le Symbole par excellence du rôle et du pouvoir de la Presse engagée contre la discrimination et les injustices.

1918 : Charte des devoirs journalistes par le futur syndicat des journalistes (SNJ)

29 mars 1935 : loi Brochard définit statut professionnel et clause de conscience. (Surnommée« le professionnalisme du flou » par le sociologue Denis Ruellan)

1936 : CCIJP-commission d’attribution de la carte d’identité professionnelle, très proche d’un ordre des journalistes

1944-1946 (FNPF): Fédération nationale de la Presse Française et Commission de la carte de presse

1948 FIJ : Fédération internationale des journalistes, à l’ouest et OIJ, L’organisation internationale des journalistes pour l’Europe de l’est communiste(1947). Fusion des deux organisations à la chute du mur en 1989

1954-1986 : déclarations de Bordeaux

1970:  Loi du droit à l’image

1971 : Charte de Munich, Déclaration des droits et devoirs des citoyens européens pour les six membres de la CEE, texte fondamental au droit européen.

1980 : Convention européenne des droits de l’Homme, Conseil de l’Europe

1985 : loi Badinter sur la protection et perquisition

1990 : loi Gayssaut contre les discriminations raciales et le négationnisme

1993 : loi sur les perquisitions des sources journalistiques dans les rédactions

2000 : loi Guigou la présomption d’innocence

 

PORTRAITS

 

« Séverine » 1855-1929

 

portrait-citation-Séverine

Cette écrivaine libertaire pacifiste et journaliste féministe, qui collabora avec Jules Valles dans Le Cri du Peuple condamna l’«Union sacrée » en 1914.  Le gouvernement avait alors proposé un consensus sur la diffusion des informations en temps de guerre afin d’unifier les opinions et de privilégier  le sentiment national. Cet accord a été signé par la plupart des journalistes, toutes tendances politiques confondues les engageant à défendre les intérêts nationaux et la patrie.

 

Anna Politosvskaïa  (1955-2006)

polikovskaia

 

Le dernier ouvrage d’Anna Politosvskaïa Douloureuse Russie, est paru en septembre 2006 . Dans ce livre, véritable réquisitoire contre la politique de Vladimir Poutine, l’écrivaine prédit un avenir sombre pour son pays. Mère de deux enfants, la journaliste a été assassinée le 7 octobre 2006, le jour de l’anniversaire du président Poutine. Elle s’était fait connaître pour avoir dénoncé la violation des droits de l’homme dans le conflit Tchétchène et accusé la responsabilités des forces fédérales russes et des autorités caucasiennes.