Gymnastique surréaliste avec Jean Solé

Gymnastique surréaliste avec Jean Solé

couvanimaleriesFluide Glacial réédite en album une série de calembours visuels réalisés par Jean Solé, et publiés dans la revue Pilote à partir des années 70. Animaleries dévoile un bestiaire fantastique et fascinant augmenté de quelques inédits. Plus qu’un livre d’images, un livre d’imagination. Expérience.

En couverture un éléphant entonne un standard de jazz, sur sa trompe saxophone. « Tu vois ce que je veux dire ! » concluait Solé avec un clin d’œil en lançant sa ribambelle de jeux de mots foireux, devant lesquels chacun esquisse un sourire gêné de politesse puis s’énerve enfin. « Fais moi un dessin », répliquait Gotlib poussé à bout comme il l’explique dans le délicieux texte qui sert d’introduction à ce bestiaire surréaliste. Surréalisme, le mot vient presqu’immédiatement à l’esprit tant la qualité réaliste des dessins surprend, enchante, et crée un décalage de rapprochements si absurdes et d’autant mieux rendus par l’illusion visuelle, que le lecteur, déconcerté, s’arrête, médite, rumine, intègre, réalise.

Surréalisme

SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

 

ENCYCL. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie.

Extrait du Manifeste du Surréalisme (Premier) d’André Breton, 1924

ourssoléSurréalisme, un gros mot, un mot d’art, une philosophie, un manifeste, mais un mot qui associe immédiatement d’autres mots, imagination et rêve, merveilleux et beau. Le bestiaire fantastique proposé par le dessinateur répond à tous ces critères. Une définition originelle pour rappeler que dans les constructions de Solé on retrouve la force de la surréalité décrite par Breton. La série de ces métamorphoses dont certaines effraient aussi, opère comme par magie sur le lecteur, suscitant un émerveillement et une possession. Car l’esprit méditant, regarde et reflète comme un miroir sa sensibilité, réfléchit ; un phénomène de retour à la conscience, quand la raison constate et se confronte aux problématiques déraisonnables, au non-sens. Un dialogue se construit, renseigne la logique de l’imagination à travers des exercices d’associations entre les animaux et les objets courants du quotidien. Ces hybrides mettent en parallèle des réalités bien distinctes et révèlent des motifs, comme les rouages et les machines, au même titre que les gueules ouvertes, pour mettre en abyme un village dans un hippopotame, un chien accroché dans un chien, ou un guépard qui dégueule le métal bouillant et liquide dans une usine. mantemotosoleQuelle fascination pour cette mante religieuse fondue dans une moto ! L’insecte cannibale associé à l’engin mortel nous saisit-elle par la reconnaissance du désir de mort inhérent à toutes les jouissances de la vie ? Surinterprétation!  L’esprit s’emballe, au delà de l’image elle même, et lui répond par ses propres réflexions, grâce au simple pouvoir d’évocation. Et toujours l’humour et la poésie, une maman kangourou, dont la poche est transformée en cuvette pour les toilettes, un ours polaire éventré comme un frigo ouvert, un poisson rouge dans un panier à salade ou un service à café composé d’une canette et de ses canetons. L’expérience est surréaliste, car Solé ne signe pas ici un pamphlet pour la WWF pour dénoncer le traitement des animaux, et n’irait d’ailleurs pas non plus se revendiquer directement de Breton. Le mécanisme revient pourtant au même car il engendre toutes les réactions provoquées par ces images en s’adressant d’abord à la sensibilité, avant qu’elles soient livrées aux interprétations de la conscience, nourries par un inconscient omniprésent. Ainsi dans ces Animaleries, à chaque page, se produit le miracle de l’étincelle lumineuse surréaliste dont parle Breton, une étincelle fortuite, non préméditée mais dont la lumière excite la sensibilité, et a posteriori la raison. (1)

Travaux pratiques

surlapisteexpoRévélation hallucinatoire puissante. Bien après avoir fermé le livre, les images restent, elles hantent, elles s’imposent et recréent un filtre dans le cerveau. Comme lorsqu’en langage on apprend un nouveau mot, et qu’on l’entend ensuite plusieurs fois dans un laps de temps très court. Il en est ainsi, quand remplie des Animaleries de Solé, je visitais l’exposition Sur la piste des Grands Singes, qui commence tout juste au Museum d’histoire naturelle. L’exposition est particulièrement réussie, et retrace un parcours scientifique, pédagogique et parfaitement rationnel. Dans une forêt fictive, on découvre la vie de ces singes, une « singité », si proche de notre « humanité », en ce qu’elle se compose de la même chose, un patrimoine génétique d’espèce, et un patrimoine culturel avec la mise en évidence de la transmission de savoirs, de techniques aussi complexes que la pratique de la médecine chez les Chimpanzés. La fin de l’exposition est dédiée aux menaces qui planent sur ces espèces, le braconnage et la déforestation sauvage. animaleriessoleSur un grand mur, tous les produits de consommation courante sont rassemblés pour montrer comment ils conduisent à l’extinction des singes. Je projette quant à moi, le vocabulaire de Solé, un singe cocotte minute, sous pression, un autre singe couché qui sert d’obstacle dans une course d’athlètes professionnels ou encore le singe machine à écrire, dont la feuille en cours d’écriture dévoile ce mot, « singeries… ?! … », mis en valeur par cette ponctuation provocante. Une émotion me soulève, je suis frappée par l’acuité intemporelle des rapprochements graphiques, de l’absurde comme méta langage et je comprends enfin, qu’en assimilant les Animaleries de Solé, je suis en réalité devenue l’objet de l’expérience, dans le laboratoire de mon imagination.

Lucie Servin

Animaleries, Jean Solé. Editions Fluide glacial, 64 pages, 25 euros

Exposition Sur la piste des Grands Singes, au Muséum du Jardin des Plantes, Paris du 11.02.2015 au 11.05.2015

-> Article à lire sur l’automédication des espèces. 

(1)(Ces images) offrent le moindre degré de préméditation. Il est faux, selon moi, de prétendre que « l’esprit a saisi les rapports » des deux réalités en présence. Il n’a, pour commencer, rien saisi consciemment. C’est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes qu’a jailli une lumière particulière, lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. Manifeste du surréalisme ( premier) d’André Breton, écrit en 1924

 

solephotoJean Solé,
illustrateur de génie

Né en 1948, Jean Solé est un grand dessinateur de sa génération et a publié dans toutes les grandes revues de l’époque, Pilote, l’Echo des savanes, Fluide Glacial, Métal Hurlant, ou Pif Gadget. Passionné de musique, il a réalisé de nombreuses pochettes de disques de Brassens à Marcel Dadi, en passant par Hendrix et Zappa. Il est égalemnt l’auteur d’affiches de films célèbres, comme le Père Noêl est une ordure, Et vive la Liberté des Charlots. Grand camarade et ami de Gotlib, Solé est à l’aise dans tous les genres, réaliste, fantastique ou humoristique.

Un extrait de l’album sur le site de Fluide Glacial