La malle à destins bizarres de Simon Schwartz
Après Plutarque et Vasari, Simon Schwartz propose Vita Obscura, un florilège de destinées obscures et originales, habillées en graphismes ajustés. Bonne pioche.
Il y a les hommes illustres de la Grande histoire, il y a les hommes sans histoire, et il y a cette folle parade de vies étranges, les destinées obscures, les pieds de nez de Vita Obscura. Une somme de vies en blagues et en marge, rassemblées en collection dans un album étonnant, aussi insolite que son sujet. Clin d’œil à Marc Twain et à Stevenson qu’il inspira, Joshua Norton (1811-1880) le vagabond de San Francisco, autoproclamé Empereur d’Amérique, ouvre le défilé. Car Vita Obscura c’est un peu comme une malle à déguisements oubliée au grenier. On sort les masques les uns après les autres en s’émerveillant de tous les costumes extravagants, hors concours, décalés et ironiques, tragiques et drôles. Un carnaval de figures bizarres épinglées dans un livre trésor qui joue le jeu de la forme et de la mise en fable.
A 33 ans, ce jeune auteur allemand a déjà publié deux albums chez Sarbacane De l’autre côté (2011) et Dans les glaces (2013). Vita Obscura donne à voir une autre facette du dessinateur. Les 33 portraits condensent chacun sur une seule planche une destinée ou des destinées regroupées naturellement comme celle des frères siamois Chang et Eng Bunker (1811-1874) et leurs 21 enfants, ou encore réunies par la fantaisie de l’auteur comme dans « les huit causes de mort bizarres de souverains birmans », avec la possibilité pour le lecteur de découper et fabriquer lui-même son éléphant tueur.
L’exercice de style s’inspire des suppléments illustrés américains des années 1910-1920, en couleur et en noir et blanc, que l’artiste découpe et recompose à l’assaut du passé et du monde entier. Chaque biographie s’installe en page de droite, face à un pendant uni, comme dans un écrin de luxe, comme la feuille de papier de soie assortie qu’on met dans les beaux livres.
Le rendu s’adapte aux époques, aux personnalités : le prophète Mani en tissu brodé, un assemblage de croquis et de photos reprend l’enquête à Madère et des lunettes 3D permettront au lecteur de saisir les dessins du visionnaire Karl Hans Janke (1909-1988). Autant d’artifices pour répondre à la juste fausseté de vies aussi extraordinaires qu’authentiques. Les papiers jaunis, les encres vieillies et les couleurs passées accentuent encore l’attrait pour ces curiosités rocambolesques. Le florilège transforme l’ironie en merveilleux. Aux confins de l’imaginable, la réalité devient surréalisme. La malle est ouverte.
Lucie Servin
Vita Obscura, Simon Schwartz, Ici même, 72 pages, 19, 5 €