Unité Combattante Trudaine, dans le sillage d’Action directe
Après le diptyque Motherfucker dessiné par Guillaume Martinez qui mettait en scène les luttes contre la ségrégation aux Etats-Unis, Sylvain Ricard signe, avec le dessinateur Rica,Unité Combattante Trudaine, une nouvelle fiction documentaire, imaginée autour de l’histoire d’Action directe. Un thriller qui questionne le terrorisme et la rébellion, cadré et mis en mouvement par le dessin noir et blanc de Rica, soigné, expressif et explosif.
La question est posée dans une case : « Vous avez entendu parler de l’histoire de Gabriel Chahine ? », cet indic de la police a permis le 13 septembre 1980 la première arrestation de Jean-Marc Rouillan et Nathalie Ménigon, les membres fondateurs d’Action directe. Il est assassiné le 13 mars 1982 à son domicile. Action directe (AD), dont les membres ont été amnistiés en mai 1981 par le président François Mitterrand, ne revendique pas l’assassinat. La traque qui suit est racontée dans « Les Stores rouges – Au cœur de l’infiltration et de l’arrestation d’Action directe » de Jean-Pierre Pochon (Edition des Equateurs, 2008), alors commissaire pour les Renseignements généraux, qui témoigne en faveur de son « accompagnateur et ami » assassiné.
Sylvain Ricard tisse son intrigue autour d’un groupuscule imaginaire, au lendemain du meurtre du policier. Cette petite bande s’appelle « l’Unité Combattante Trudaine » (UCT). Le nom est inventé à partir de la fusillade provoquée par Action directe le 31 mai 1983, pendant laquelle deux policiers sont tués, un autre blessé, avenue Trudaine à Paris. Après l’amnistie mitterrandienne, 248 militants au total sont libérés, dont Jean-Marc Rouillan et Nathalie Ménigon. Mais face à la recrudescence des attentats et des braquages, Action directe est officiellement interdite par décret en août 1982. Les combattants passent dans la clandestinité, rejoignent la nébuleuse des mouvements autonomes plus ou moins terroristes, qui se radicalisent dans l’Europe de l’Ouest, des années de plomb jusqu’à la fin des années 1980. Le 21 février 1987, les principaux membres d’Action directe sont arrêtés.
L’album s’ouvre sur l’assassinat de Gabriel Chahine, une page muette au recto, explicative au verso qui donne déjà la force du dessin de Rica, précis, détaillé, un découpage régulier et dynamiquement cadré. Ensuite, dans une galerie de cases, un prologue présente synthétiquement les portraits d’une époque et l’histoire d’Action directe, avec les principaux protagonistes et événements. Le contexte historique est restitué sur quelques planches. Il réapparait le 25 janvier 1985 par le prisme d’un écran de télévision, au moment de l’assassinat de René Audran, l’adjoint du directeur des affaires internationales au Ministère de la défense. Avec Georges Besse, le patron de Renault, assassiné le 17 novembre 1986, ils sont les deux victimes emblématiques de la lutte d’AD.
Le contexte historique ancre le récit imaginaire dans le réel, dans une temporalité aussi, sans rentrer dans les détails de la lutte menée par Action directe, tenue à distance. « Une fiction pour s’extirper de l’histoire », confie Sylvain Ricard dans un entretien retranscrit sur le site de l’éditeur (à lire ici). La complexité de la mouvance autonome, déchirée et divisée elle-même sur ses propres apologies d’action, est suggérée, quand les dialogues condensent sur une seule planche les sujets en débat : le légalisme et le crime, le terrorisme et la résistance.
Ce mini groupe très localisé et isolé resserre le propos sur les individus, éloigne les considérations stratégiques et internationalistes. Le récit se focalise sur un carré de personnalités, Sandrine, l’activiste, Serge, l’expert en explosif, Yann, l’idéologue enragé, et l’indic William, la jeune recrue marseillaise infiltrée. Ces imitateurs d’Action directe, « tueurs de flics », sont pris dans une logique de guerre qui esquisse l’enjeu idéologique sans vraiment y répondre. L’action cavale au rythme des scènes muettes. Les planches multiplient les points de vue, de la police, des insurgés, en posant les questions philosophiques sur le recours aux attentats et sur la violence de la société. La structure en boucle du polar l’emporte sur le fond quand le dessin dit presque plus que le texte. C’est que Sylvain Ricard n’entend pas trancher. Loin de faire l’apologie du terrorisme, il met en scène les ambitions de la révolte, souligne l’importance de l’idéal qui motive le combat. En choisissant le contexte d’une histoire récente encore mal comprise, il cible aussi des personnalités imaginaires afin de montrer la logique activiste et terroriste. Tout en condamnant l’acte criminel, ce thriller insiste sur l’ambiguïté et la légitimité de la rébellion.
Lucie Servin
-> Un article du calamar noir publié sur Cases d’histoire,
UCT – Unité Combattante Trudaine. Sylvain Ricard (scénario). Rica (dessin). Glénat. 64 pages. 19,50€
Sylvain Ricard est par ailleurs un des rédacteurs en chef de la Revue dessinée. Revue dans laquelle Rica a réalisé avec Marie Gloris dans un excellent reportage sur l’histoire de la guillotine. (à lire ici)