Les SDF en BD, miroir d’une crise
La trêve hivernale a été prolongée au 31 mars face aux menaces de la vague de froid. Ce court délai annonce le retour des expulsions qui révèle chaque année une crise du logement toujours plus grave. Un malaise dont la BD se fait largement l’écho.
Un dessin à retrouver sur le site de Placide
A la suite de la mort d’un SDF, victime du froid à Saint-Brieuc, ce mardi 12 mars, la ministre du logement Cécile Duflot, a annoncé le prolongement de 15 jours de la trêve hivernale qui devait prendre fin le 15 mars au soir. Un court délai accordé face à une « situation exceptionnelle liée aux conditions climatiques » qui repousse au 31 le début des expulsions, Cette trêve hivernale, instituée par la loi Aubry contre l’exclusion datée du 29 juillet 1998, prescrit, chaque année, un moratoire qui interdit l’expulsion des locataires sur la période qui court du 1er novembre au 15 mars au soir. Si la constitution garantit le droit de propriété, elle s’engage aussi au droit au logement si bien que l’augmentation de ces expulsions est le révélateur d’un malaise bien plus grand.
Des mesures de survie
L’intervention de la ministre a bien conduit à la prise de mesures d’urgence face aux intempéries et aux questions de survie en proposant des places d’hébergement supplémentaires, mais cette gestion temporaire ne résout pas la crise du logement qui s’aggrave d’année en année. En attendant le nouveau projet de loi “logement et urbanisme” qui sera proposé par Cécile Duflot en juin prochain, les associations demandent davantage. Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre a été publié le 1er Février dernier et dénombre plus de 8, 5 millions de Français victimes du mal-logement. Témoins du malaise et de la crise économique, en 2012 par exemple, les demandes d’aides au Resto du Cœur ont augmenté de 12 %. La Fondation détaille ces chiffres et recense 685 000 personnes sans logement dont 133 000 sans domicile fixe. A cela s’ajoutent 3,6 millions de personnes logées dans des conditions temporaires, indécentes ou difficiles tandis qu’elle estime plus 5 millions de foyers “fragilisés par la crise.” Concernant les expulsions, 1,3 million de locataires sont en difficulté de paiement tout comme 565.000 propriétaires et près de 91.000 ménages sont menacés d’expulsion. En 2012, François Hollande signait avec la Fondation le “contrat social pour une nouvelle politique du logement”. Il s’engageait à mettre à disposition 500.000 logements par an, à généraliser la taxe sur les logements vacants dans les zones de marché tendu, à encadrer les loyers privés et éradiquer 600.000 logements indignes. Si la Fondation reconnaît quelques dispositions prises par le gouvernement, elle estime dés aujourd’hui que l’objectif ne sera pas tenu.
Derrière les chiffres le sigle SDF existe depuis le XIXème siècle dans les registres de police, mais il se généralise à partir des années 1990 et explose aujourd’hui. Il renvoie pourtant à une catégorie d’individus indistincts et disparates. En jouant d’un humour grinçant sur le sigle, Leborgne signait en 2010 Si doux foyer, un album sous forme de compilations de gags cruels composés autour de variations sur le sens du sigle : De Série de Déconvenues Financières à Super Délire la Fugue et Sens De la Fête, il fustige l’appellation convenue. SDF, sans-logis, sans abri, clochards, vagabonds, mendiants, tous termes généraux utilisés dans le langage courant et les médias qui cristallisent les clichés révélateurs de l’époque. Le SDF n’existe pas, il n’y a que des hommes. Dans les cases, la bande dessinée dévoile et creuse ce que la société ne saurait voir. Face aux chiffres matraqués par les médias qui cachent par des valeurs abstraites la réalité quotidienne, la bande dessinée raconte des histoires, témoigne de récits singuliers, interroge les idées reçues et le regard porté sur ces exclus, en abordant la détresse et le désespoir. De la caricature à l’humain, elle instaure un dialogue salutaire face à l’indifférence générale. Si le thème devient de plus en plus récurrent en BD depuis les années 2000, c’est qu’il reflète la prise de conscience face à l’urgence. La libre sensibilité de chaque auteur garantit une gamme riche de traitements, de tons et de styles graphiques. Découvrez une petite sélection de ces parutions récentes, qui rendent compte plus certainement des situations que ces chiffres déroulés lors du triste rendez-vous à la veille des expulsions.
————————-
Galerie de Portraits
L’autobiographie d’un clochard
“Si vivre avec son histoire est une chose, la raconter en est une autre. Il faut pouvoir se transformer en alchimiste et entamer d’âpres négociations avec soi-même. Par où commencer ? Faut-il tout dire ?” écrit Etienne Schreder dans sa préface de Amères saisons. Ce récit autobiographique et intime est le fruit de près d’une quinzaine d’années de réflexions et d’interrogations, la justesse du ton témoigne d’une reconstruction personnelle. De 1979 à 1984, l’auteur devient clochard, selon le terme utilisé à l’époque. Ce livre dur entre pudeur et vérité concentre dans un graphisme en noir et blanc soigné, parfois rehaussé par des lavis gris la narration d’une dégringolade dans l’alcoolisme. Employé de prison, Etienne Schreder se dégoute de l’existence, il boit, il perd son boulot, il sombre. Aujourd’hui il s’en est sorti mais à quel prix ! La conscience et la lucidité du personnage font écho à une démission volontaire et angoissante qui embarque le lecteur dans la spirale broyeuse de l’alcool et des difficultés pour s’en sortir.
Amères Saisons, Etienne Schreder, Casterman, 216 pages, 13,75 euros
LE “SIP” (Sans intérêt particulier)
C’est en témoin que se présente Charles Masson quand il publie son premier album Soupe Froide écrit entre février et mai 2003 pour rendre compte de faits rééls inspirés de son quotidien de médecin dans un service de cancérologie à l’hôpital de Lyon. A travers la vie de deux patients, il concentre son histoire sur le récit d’un SDF Roger Blancis, 48 ans, mort d’un cancer de l’oropharynx (antécédents alcoolisme-tabagisme), comme on peut lire sur le certificat de décès reproduit en pleine page. Dans la peau de Roger, on suit la vie ordinaire d’un clochard qui, souffrant d’un cancer, avait été placé pour l’hiver dans une maison de repos. L’homme s’enfuit pour rejoindre son lit d’hôpital lorsque l’infirmière lui sert une soupe froide. Il a fallu de l’expérience à Charles Masson pour comprendre ce geste de préférer la solitude dans le froid à un lit au chaud. Portée par un trait souple à l’encre noir, il met en perspective ponctuellement le point de vue du médecin et creuse en contraste un portrait effrayamment réaliste de la souffrance de Roger, de l’incompréhension et de l’indifférence du regard de la société. “Pire qu’un SDF cet homme est mort comme un “SIP” : Sans intérêt particulier. Le jour de sa mort il présentait moins d’intérêt qu’un chien au regard de notre société”, écrit l’auteur dans sa postface.
Soupe Froide, Charles Masson, Casterman, 136 pages, 13,75 euros
Le Monsieur de la rue
”Un voyage au cœur d’un individu et des dynamiques sociales qui l’entourent.” Maximilien résume ainsi sa démarche documentaire en expliquant “Comme on poserait une caméra ou un dictaphone, mes crayons ont tenté de relayer au plus près ce qu’il avait à dire, à la manière d’un « journal de voyage » (comme l’a écrit George Orwell à propos de son témoignage Dans la dèche à Paris et à Londres).” L’album est d’ailleurs d’abord paru dans la revue XXI à l’été 2009, sous le titre “Le Monsieur de la rue” dans un format court de 30 pages avant d’être édité dans son intégralité. Ainsi, Hosni se présente comme une longue interview dans laquelle il raconte son parcours et comment il a été livré à la rue au départ de son père, un immigré tunisien, rentré au pays après avoir été licencié. Ce récit n’épargne rien mais expose dans le détail la vie de cet ancien SDF qui a toutefois trouvé aujourd’hui “son chez lui”. La narration rassure en alternant le récit en couleur d’Hosni aujourd’hui sur son canapé, et le dessin placé au service du passé pour décrire les souvenirs de la chute et du gouffre, entre la violence, l’alcool et l’ennui. Sur un fond sépia, le dessin comme à la craie noir souligne les personnages spectraux en aplats blancs qui font irruption dans les cases. Le graphisme ajoute la juste note sensible pour animer le discours retranscrit d’Hosni. A ce témoignage singulier de la vie d’un homme s’ajoutent les destinées de quelques portraits glissés en annexe qui prouvent encore une fois la diversité des situations tout en insistant sur le regard de la société détourné de tous ces exclus qui la gênent.
Hosni, Maximilien Leroy, La Boîte à bulle, 64 pages, 14,50 euros
Lucie Servin
[…] 2013, je réfléchissais sur le SDF en BD, dans l’article à lire ici. Le point de vue adopté par Jason Little, dans Borb, est à l’exact inverse de la bande […]