2D, le cyber cowboy de la blogosphère

2D, le cyber cowboy de la blogosphère

La modestie est souvent le signe du talent. Cette semaine, rencontre avec un dessinateur hors du commun, héritier de Moebius et de Sergio Leone qui nous emmène dans sa traversée du désert, dans une chevauchée poétique et surréaliste. Peu sûr de lui, éternel insatisfait, à 34 ans, Damien Henceval alias 2D ou Doubledams, est déjà un artiste confirmé à découvrir de toute urgence sur son blog Ouvre les vannes ou sur le site de 30joursdeBD autour des planches tirées de son cyber western.

Il était une fois dans la blogosphère. 2D, un pseudo évocateur pour un dessinateur de la vieille école qui travaille à l’ancienne, tout en crayonnés et encrages avant de coloriser ses planches sur Photoshop. Un surnom construit sur la base de Doubledams, un autre sobriquet que des amis lui avaient trouvé en référence à James Bond et que le dessinateur a conservé dans sa vie professionnelle. Damien commence comme tous les enfants à lire Boule et Bill, Tintin, Astérix ou Spirou.  D’origine belge par son père, avec un grand-père peintre et sculpteur, il s’initie à l’histoire de l’art et attrape vite le goût du dessin. L’idée de se lancer dans la BD s’impose naturellement. Très influencé par des auteurs comme Franquin, Giraud/Moebius, Marc-Antoine Mathieu, Manu Larcenet ou Lewis Trondheim mais également par le magazine Metal Hurlant et des auteurs comme Druillet ou Bilal, 2D connaît surtout la BD franco-belge mais reste ouvert à d’autres influences comme le manga Akira de Ottomo.

2D ouvre les vannes

Un blog pour remettre le pied à l’étrier. Après avoir passé un bac littéraire, Damien part étudier aux Beaux Arts en Belgique . Il envoie alors plein d’espoir ses premiers projets à différents éditeurs mais rien n’aboutit.  N’ayant ni le goût ni le don pour se vendre, il renonce un temps à sa carrière dans la BD et devient graphiste et illustrateur en freelance enchaînant des petits boulots alimentaires pour assurer les fins de mois. Il n’arrête pourtant pas de noircir ses carnets de croquis ou de dessins inachevés et commence à republier sans se prendre au sérieux dans un blog collectif qu’il alimente avec quelques copains. A la faveur de l’explosion de la blogosphère et motivé par une déception amoureuse, il décide en mars 2009 d’ouvrir son propre blog.

L’occasion de se réconcilier avec la bande dessinée et d’accuser le coup. Il profite ainsi de cette plateforme et de l’interaction possible avec les internautes pour publier sans complexe ses dessins et ce qui lui passe par la tête. Allant de petites historiettes de la vie courante à des gags qui révèlent son goût pour l’humour gore, 2D ouvre les vannes et se libère sur la toile dont il fait son terrain d’expérimentation.

L’affirmation d’un style

Grand admirateur de Boulet, il s’initie à la technique des dessins à main levée mais revient peu à peu sur ses publications. “Avec ma formation académique des Beaux arts, j’ai toujours dessiné en soignant les détails et les perspectives sur des planches en grand format. Je m’étais dit qu’avec le blog j’allais apprendre à dessiner plus rapidement. En réalité j’ai vite compris que ça n’était pas si facile et que je n’étais pas fait pour ça“, explique-t-il. Pendant les six premiers mois, il se cherche, raconte dans le style des autres blogueurs son quotidien, ses pensées, ses émois, les vicissitudes de sa vie de célibataire et de son chat Colt, qui a tout du célèbre cascadeur de l’Homme qui tombe à pic.

Pourtant, il se rend vite compte que ce mode d’expression ne lui convient pas. D’un naturel discret, 2D répugne à étaler sa vie privée et éprouve un malaise à commenter les petits tracas de la vie ordinaire qui ont pourtant fait le succès de nombreux blogueurs. Cette exploration de différents styles a fini de le convaincre d’assumer le sien offrant en porte à faux un détour nécessaire pour retrouver cette identité graphique qui a toujours été la sienne, un dessin riche et fouillé, fourmillant de détails.

Je peux passer plusieurs jours sur une seule case, et cette manière de dessiner ralentit considérablement le rythme de publication sur le blog, mais je me suis rendu compte que je ne sais pas faire autrement.” Le résultat est là et les planches ou illustrations forcent le respect par la qualité de leur exécution. “La lecture d’une BD est en général très rapide, le décor et les détails en arrière-plan ralentissent ce processus et retiennent le lecteur”,ajoute-t-il.

De 30 jours de BD au sousblog

“Aujourd’hui je publie davantage sur 30joursdeBD que sur mon propre blog“. Invité au festiblog en 2010, Damien rencontre Silver, devenu lecteur assidu de son blog qui l’introduit auprès de l’équipe de 30joursdeBD que 2D rejoint peu de temps après.  Le dessinateur saute sur l’occasion pour raconter de nouvelles histoires. Il s’essaye aux strips et  rencontre d’autres dessinateurs. “Je passe beaucoup de temps à analyser le travail des autres et j’ai beaucoup de plaisir à les rencontrer”, affirme-t-il.  Dans la lignée, il publie dans différents fanzines comme RAV(Rien à voir) et Kazoum en solidarisant ses amitiés de la blogosphère (Le BurpBoutanoxSessSilverWayneHibi ou Pochep). Tradition belge oblige, amateur de bière, il prépare aujourd’hui le sousblog avec Boutanox et Ned un ami illustrateur un nouveau blog collectif qui présente les œuvres qu’ils réalisent autour d’une pinte sur des sous-bocks, vaillamment aidé par Docteur Mégot L’idée de ce blog “qui met la pression” est de créer une communauté de buveurs de bière, invitée à faire l’éloge de la convivialité et du bistrot. Une première cuvée à découvrir très prochainement. (ici)

La genèse d’un cyber western décadent

Les intérêts de 2D dépassent largement la BD. Curieux de tout, le dessinateur ne privilégie aucun genre en particulier. De Andreï Tarkovski à Jackie Chan, en passant par Mad Max ou Sergio Leone,  en cinéma comme en littérature en peinture ou en musique, Damien distille ses influences dans les histoires qu’il met en scène, cuisinant des images conscientes et inconscientes. Il excelle dans cet exercice en imaginant une série d’histoires courtes autour d’un cowboy solitaire chevauchant au milieu d’un Farwest fantasmé et qui emprunte à l’univers steampunk. En jouant sur les univers parallèles, les boucles temporelles, l’infiniment grand et l’infiniment petit, Damien construit des scénarios graphiques autour de ses souvenirs d’enfance et de ses idées du moment.

Un désert jonché de jouets cassés, où l’on croise aussi bien Albator que Robocop et où l’on reconnaît des références à Lucky Luke ou aux métamorphoses de Moebius, revisitées à la sauce surréaliste et imprégnées de l’esprit des idées noires de Franquin. Une poésie de la décadence où le texte s’efface derrière l’image, où l’on perçoit l’âme du Pistolero de Stephen King que Damien n’a pourtant découvert qu’après. Une métaphore du temps qui passe, dans un western nostalgique d’une d’enfance perdue, un espace mental où chaque détail fait sens. Impressionnantes de virtuosité, ces planches publiées actuellement sur 30joursdeBD, révèlent le potentiel de ce blogueur  cowboy dans une mise en abîme élégante et poétique de la vie.

Lucie Servin

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