Cecily, les métamorphoses d’une jeune fille bien

Cecily, les métamorphoses d’une jeune fille bien


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cecilycouperlateteMusicienne, peintre, dessinatrice, photographe, couturière… Avec une artiste comme Cecily, on ne sait jamais par quel bout commencer. Cette semaine, rencontre avec une femme artiste accomplie, sans concession et engagée, véritable pionnière de la blogosphère. Avec  Cha, Laurel, Boulet ou encore Kek, elle tisse depuis presque huit ans sa toile sur le web. Portrait d’une artiste hors norme, délicieusement barrée à retrouver sur son blog unejeunefillebien.com

La passion, l’audace, la ténacité et le talent, des qualités qui serviraient à décrire Cecily. A 37 ans, la jeune femme est une blogueuse confirmée qui après trois albums publiés chez Albin Michel, vient de sortir aux éditions Même pas Mal Euclide, une fable noire féministe et surréaliste qui révèle les qualités graphiques et scénaristiques de cette artiste fascinante et hors du commun.

Une jeune fille comme il faut

“Certaines allées sont toutes droites : ce sont celles que l’on a faites ; d’autres sont tortueuses : ce sont celles qui se sont faites elles-mêmes. Et ces dernières sont de beaucoup les plus agréables, parce que vous ne savez jamais où elles vous conduiront. ”

J.M. Barrie Peter Pan.

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« La plus belle expérience que nous puissions vivre est celle du mystère ». Albert Einstein @Cecily

Les grandes âmes s’épanouissent dans l’adversité. Le parcours de Cecily n’a rien d’un long fleuve tranquille mais reflète l’appétit insatiable d’une dessinatrice qui a su sans rien lâcher aller jusqu’au bout de sa vocation en s’offrant en modèle contre la résignation et le renoncement. Avec  un père artisan ébéniste, peintre et dessinateur à ses heures, Cecily a toujours baigné dans un milieu artistique. Passionnée depuis toute petite par la bande dessinée, elle est toutefois vite détournée par son entourage de poursuivre dans cette voie. Elle entreprend donc d’abord des études de scénographie et de dramaturgie à Bruxelles et travaille ensuite comme metteur en scène et scénographe dans divers ateliers de construction de décors et de marionnettes. Elevée par ses grands parents maternels puis paternels, elle est envoyée en pension pendant sept ans chez les bonnes-sœurs où elle reçoit une éducation stricte, “bourgeoise, hypocrite et superficielle” qui la marque au fer rouge et forge peu à peu sa volonté de se construire à l’opposé. Quand elle décide en 2004 de créer son premier blog, en l’appelant Une jeune fille bien, elle prend une première revanche et affirme haut et fort ce qu’elle est et non ce qu’on lui a reproché de ne pas être. “J’ai beaucoup souffert de cette éducation où l’on cherchait à faire de moi “une jeune fille bien”, en sous-entendant que je ne l’étais pas. J’ai eu besoin d’affirmer ce que j’étais et non ce que je devais devenir”. Explique-t-elle.

Un blog, des blogs, une identité métamorphosée

cecilygraciasCecily découvre la blogosphère à l’époque où le phénomène n’est pas aussi répandu qu’aujourd’hui. Après quelques années à travailler pour la scène, elle ressent un profond raz le bol et un passage à vide, qui s’expriment par le besoin de s’isoler. Elle trouve refuge dans une maison de campagne en Bourgogne et elle comprend dans la solitude la nécessité de faire ce qu’elle a toujours aimé faire, trouvant dans les plateformes de blogs  une formidable vitrine pour sa nouvelle vocation. La jeune artiste décide alors de passer outre le jugement des autres, et de se lancer dans l’arène. Elle ne crée d’ailleurs pas seulement un blog mais des blogs pour chacune de ses passions allant du dessin à la photographie, de  la poésie à la peinture et à la musique. Artiste en perpétuelle recherche technique, elle sépare ainsi ses différentes productions comme les peintures rassemblées aujourd’hui dans son blog Paint in Black, un nom en référence à la chanson des Stones.

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Sans étiquette, elle confectionne aussi bien des poupées en papier mâché que des dessins en broderie. Autant d’activités parallèles qui s’articulent autour de la BD et de l’illustration qu’elle décide d’adopter à temps plein. “Au départ, le but n’était pas du tout de faire un album, affirme-t-elle, Isolée dans ma campagne, j’explorais de nouvelles idées et le blog m’a permis également de garder contact avec mes amis éparpillés dans toute la France et de m’amuser en donnant à lire des gags et des petits sketchs.“ Après une première série, le château de Kripaouch’tassom, le blog se développe et rencontre de nombreux lecteurs attirant du même coup la faveur des éditeurs.  “J’ai eu la chance d’être une des premières à être éditée sur papier”. Flattée par ces propositions mais toujours indépendante, Cecily trouve finalement  chez Albin Michel l’équipe qui lui convient et l’espace où elle peut composer en toute liberté.  Elle confie :“J’y ai rencontré une nouvelle famille, Vuillemin, Margerin, Mezzo, Pirus,  Cromwell ou encore Pétillon, autant de dessinateurs qui sont devenus depuis mes amis et qui m’influencent et m’inspirent”

L’affirmation d’un style

Du blog à l’album papier, Cecily retravaille ses histoires, crée des planches inédites et son blog plus qu’une vitrine devient un atelier où l’on trouve pêle-mêle des travaux achevés, inachevés, retravaillés, le véritable laboratoire de sa création. A ses débuts, si l’idée était avant tout de faire des blagues avec un arrière fond de vécu, l’artiste se défend d’y mettre des choses trop intimes. Elle aime ainsi à qualifier ses histoires de pseudo-autobiographiques. “J’extrait de mes expériences ou de mes rencontres ce qui fait sens d’un point de vue universel. ” explique-t-elle. Dans ces trois premiers albums issus de ce blog, beaucoup de planches sont inédites “Un album papier est forcément différent d’un blog, la nécessité de créer un ensemble cohérent m’oblige à reprendre, à compiler et à redessiner”. 
AventuresDeLovelyGorettacecilyCecily évoque sa vie, ses amours dans Au secours, je vois plus rien !, ses rapports avec son père avec qui elle compose De l’amour filial en général et de mon Papa en particulier. Mais en publiant Sans les mecs en 2008, une histoire qui décrit une collocation entre deux trentenaires désabusées, elle prend conscience qu’elle s’ennuie et qu’elle a fait le tour de ces histoires nombrilistes de plus en plus commandées et dirigées par les éditeurs.
Avec la peur de s’enfermer dans une tonalité qui vise un public adolescent alors que se développe le courant de la BD girly, elle décide d’arrêter, se sentant prise au piège dans une case où elle ne se reconnaît plus. AmourFilialGeneralcecilyElle se tourne donc vers des projets plus radicaux au prix de quelques sacrifices, renonçant au succès éditorial et matériel de ce filon prometteur. Artiste touche à tout, toujours en quête de nouvelle technique, Cecily ne souffre aucune limite et prend plaisir à expérimenter de nouveaux supports en développant une esthétique de la maladresse, privilégiant la voie du tâtonnement à celle de l’accomplissement, n ‘apprivoisant de nouvelles techniques que pour mieux s’en détourner. Son trait s’affirme toutefois, et l’on y reconnaît l’influence de Roland Topor aussi bien dans les contours noirs marqués que dans les ambiances et l’humour noir.  Cinéphile, grande lectrice et initiée à la psychanalyse, la dessinatrice dresse peu à peu les grandes lignes de son univers, sombre, drôle et surréaliste, inspiré par les romans fantastiques, les séries noires ou les films d’horreurs.. “J’adore les films qui parviennent à me faire rire en mettant en scène du glauque, des comédies d’horreurs, comme Beetle Juice, Le bal de Vampires ou Rosemary’s Baby.” Adepte des films de Polanski, Kubrick ou encore Terry Gilliam,elle s’imprègne aussi d’écrivains comme Stephen King, Kafka, Witold Gombrowicz ou Shirley Jackson. Des influences qu’elle distille dans une création profondément originale.

Euclide, une fable noire et féministe

cecilycouveuclide“Euclide est une victoire”, déclare Cecily. Cet album qui vient de sortir aux éditions Même pas Mal tranche radicalement avec les albums précédents. “Je n’avais pas envie de vendre ma culotte”, s’exclame-t-elle. Entre illustration et bande dessinée dans un format original à l’italienne qu’elle a délibérément choisi, pour rendre hommage à ces BD des années 40 dont elle est fan et qu’elle a découvert très jeune en lisant Dick Tracy ou en dévorant les éditions en français publiées par Futuropolis dans les années 80 (de Segar ou Herriman par exemple).

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Avec une case par page, cet album qui joue sur le décalage et le surréalisme rend hommage à la composition et à la ligne claire qui émane de ces influences. “J’aime la dynamique et la lisibilité de ce genre de composition simple”, déclare Cécily. De fait, Euclide est un album abouti où l’on suit la trajectoire d’un odieux personnage qui cristallise tout ce que l’homme peut faire de pire à une femme. De la femme objet à la femme au foyer, de la mère à la putain, Cecily reprend à son compte un combat féministe hélas encore d’actualité et éprouve le besoin de se démarquer devant la mode des BD girly qui assignent les dessinatrices dans un style réducteur et rétrograde.

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La BD de fille n’existe pas, une femme est un être humain et aucune thématique n’appartient à un sexe en particulier. Les catalogues Ikea ne sont pas écrits par des meubles !“ précise-telle en ajoutant “Le phénomène de la BD girly porté par les perspectives commerciales des éditeurs constitue un grand retour en arrière pour la place des femmes. Elisabeth Badinter a d’ailleurs analysé cette idée à l’échelle de la société dans son dernier essai, Le Conflit, la femme et la mère . En effet, quand je regarde les dessinateurs de la génération précédente avec qui je suis devenue amie et qui ont vécu mai 68, je ressens un grand respect pour le travail des dessinatrices. Mais aujourd’hui en cantonnant ces dessinatrices à des thématiques de “fille”, on nourrit les pires clichés. En tant que femmes nous devons défendre des valeurs face à des réalités trop sérieuses pour être traitées par dessus la jambe. A quelques kilomètres certaines femmes n’ont toujours pas le droit de vote, se font frapper ou tuer en toute impunité.”. C’est dans cette optique que Cecily imagine un projet de magazine qu’elle propose à Albin Michel et fait uniquement par des dessinatrices à la manière de l’Echo des savanes, dans la lignée de la revue Ah !Nana, une revue créée dans les années 70.  Peu soutenu par son éditeur, le projet capote définitivement avec le rachat d’Albin Michel par Glénat.

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Une grande famille

Si elle n’a pas la langue dans sa poche, Cecily est aussi une bonne vivante, excellente cuisinière et musicienne avec un cœur assez grand pour fédérer autour d’elle autant d’amis que de talents.  Apèrs avoir joué de la batterie, de la basse et de la clarinette, elle se consacre au chant en fondant les Wild Inks avec les dessinateurs, Jeff Pourquié, Jampur Fraize, Jurg et Mezzo. Ils  interprètent des reprises et partagent le goût du punk et du rock’n roll. Après une année passée à Strasbourg, Cecily rejoint Nantes, ou elle retrouve quelques amis commeYoannHervé Tanquerelle, Brüno et Gwen de Bonneval et une ambiance suffisamment déjantée pour qu’elle se sente à l’aise. Elle installe son atelier dans un appartement au rez-de-chaussée ou elle peut profiter du jardin avec ses chats Dracula et Fantomas. Chanteuse du groupe FuckUlélé,catcheuse à moustache, des projets plein la tête, préparant un album avec ses amis nantais mélangeant des reprises de morceaux et des voix qui racontent une histoire avec son ami Nicolas Mayer et d’autres dessinateurs comme Cyril Pedrosa, Cecily travaille également de front avec plusieurs dessinateurs amis, commeMezzo, Cromwell ou Jeff Pourquié. Lancée dans des travaux de broderie digne de la reine Mathilde, elle a aussi demandé à ses amis de lui faire des dessins sur tissu pour réaliserune série brodée dont elle compte bien faire un livre.

Les tarots et la force des symboles

cecilytarotA moins d’écrire un essai, difficile donc de cerner cette artiste engagée sur tous les fronts. Pourtant  si un élément semble sédimenter l’ensemble c’est son rapport au symbole, des symboles qu’elle réinterprète, utilise et remploie à sa sauce et qui traduisent sa fascination pour l’ésotérisme, le vaudou, la religion, l’astrologie, la cartomancie, ce goût qu’elle cultive de puis l’enfance. Très influencée par Jung qui tirait d’ailleurs les tarots, et la psychanalyse, elle précise que “ce qui l’intéresse n’est pas tant la formule ou les représentations de ces symboles mais bien la dimension universelle de signification qu’ils véhiculent. ” Actuellement, elle travaille sur un projet auquel elle a invité Olivier Texier, Quentin Faucompré et Marc Caro pour dessiner chacun les 22 arcanes majeurs des Tarots de Marseille donnant lieu à une très belle exposition à Tournai. Son ambition avouée est de faire participer en tout 22 auteurs à ce projet. “J’aime voir ces déclinaisons et ces interprétations personnelles sur des symboliques universelles”. De l’anecdote au général, elle planche actuellement sur le tome 2 d’Euclide et sur une nouvelle série intitulée, Les dossiers mal classés, une succession d’historiettes inspirées de strips qui lui avaient été refusés par le journal de Spirou lorsqu’elle y travaillait en 2007.

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Compilant depuis toute petite, toutes les anecdotes et les histoires autour de personnages célèbres mais dont une partie de la vie méconnue est dramatique, elle se délecte à mettre en scène ces leçons de vie dans son style toujours drôle, cruel mais jamais gratuit. Véritable magicienne au milles tours et cartomancienne de génie, Cecily est une fée de la blogosphère qui agite sa baguette pour rappeler à l’ordre et envoyer des étoiles.  Une artiste hors du commun qui n’a pas fini de surprendre.

 

Lucie Servin

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