Premiers pas en Algérie

Premiers pas en Algérie


couvalgérieRécit de voyage. Olivia Burton revient en Algérie démêler l’histoire pied-noir de sa famille. Porté par le dessin de Mahi Grand, l’Algérie, c’est beau comme l’Amérique, invite à faire table rase d’un passé révolu et à sauter à pieds joints dans le présent et l’avenir. 

« Quand tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ». Pour Olivia, petite fille de pieds-noirs, l’héritage familial a quelque chose d’encombrant. Elle a grandi dans les souvenirs de sa famille, la nostalgie de ses grands parents, les récits idéalisés de ceux qui voyaient dans l’Algérie le plus beau des départements français. La douleur et les regrets de son entourage ont avivé son désir de découvrir ce paradis perdu quand à l’adolescence, puis au cours de ses études, elle apprend l’histoire coloniale, la guerre d’Algérie, le jugement rétroactif qu’on porte sur la période.

facGrand écart schizophrène, elle doute de ceux qu’elle aime, interroge les images d’Epinal qu’elle a construites depuis l’enfance et la réalité des événements qui ont suivi. L’idée fait son chemin et à la mort de sa grand-mère, elle découvre quelques feuillets de souvenirs qui lui sont destinés. Ces derniers écrits finissent de la convaincre de faire le pèlerinage. Dix ans plus tard, Olivia décolle pour Alger avec l’envie d’en découdre, de voir et de savoir.

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Plus qu’une quête identitaire, ce road-movie des origines prend une forme inédite, celle d’un dialogue, entre le passé et le présent par l’intermédiaire de Djaffar, le seul contact d’Olivia à Alger. Celui-ci accepte de la conduire dans le massif des Aurès, pour retrouver la ferme de ses grands parents. Djaffar est architecte et algérien, lucide et philosophe, il passe sa vie entre Alger et Paris et se révèle surtout un guide idéal qui, même s’il ne sait pas lire l’arabe, traduit l’histoire de son pays pour cette descendante d’ « occupants », comme il désigne lui-même les colons.

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Le récit autobiographique devient en quelque sorte prétexte à un récit de voyage pour visiter l’Algérie contemporaine, au regard de son histoire coloniale et de son histoire plus récente marquée par la décennie noire des années 90 et les attentats du GIA.

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Mahi Grand soutient le récit avec des cases en noir et blanc qui rappellent la mélancolie des vieilles photos de famille, contrastant avec la couleur utilisée pour reproduire les photos du voyage d’Olivia. Un graphisme libre, très construit qui illustre aussi symboliquement les sentiments de la jeune femme. L’image et le récit conjuguent ainsi la même volonté de dépasser le cliché dans la confrontation du réel, en évitant la voie polémique ou partisane. Comme résume Djaffar, « Moi je pense les choses de la vie en deux catégories, le subi et le voulu, et seul le voulu m’intéresse. Ensuite le soluble et l’insoluble. Ce dernier, je n’ai pas à m’en occuper». C’est la réussite de ce livre, qui sans trahir le passé, avec humour et sincérité, parvient à enterrer les fantômes, libérer les souvenirs, et dissoudre le poids de la culpabilité reçue en héritage. Déçue par la réalité de l’histoire de sa famille, Olivia trouve en Algérie ce qu’elle n’était pas venue chercher, un pays magnifique et des rencontres. Une voie pour se réconcilier avec cette terre chérie, désirée, son Amérique à elle.

Lucie Servin

Olivia Burton et Mahi Grand – L’Algérie, c’est beau comme l’Amérique, Steinkis, 171 pp, 20 €.

A lire également sur le calamar noir, le dossier sur le cinquantième anniversaire de la guerre d’Algérie, vu par la BD. 

Les auteurs : 

  • Agrégée de lettres modernes, Olivia Burton s’est dirigée vers le théâtre comme dramaturge et adaptatrice. Elle a également réalisé deux documentaires et écrit deux BD.
  • Mahi Grand se forme au dessin aux ateliers Met de Penninghen puis s’oriente vers la scénographie aux Arts Décoratifs à Paris. Depuis il conçoit des décors pour le théâtre, le cinéma, et la danse, peint et sculpte.