Winshluss c'est aussi pour les enfants

Winshluss c’est aussi pour les enfants

wincouvaaarrg6Dans la forêt sombre et mystérieuse de Winshluss remporte la Pépite d’or 2016 du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil. Un album sublime pour lequel j’avais fait l’interview de présentation du dossier de presse chez Gallimard (reproduite ci dessous), à compléter avec l’interview fleuve publiée dans AAARG n°6 (novembre-décembre) en kiosque actuellement, réalisée par Mina Zampano sur tout le travail de cet immense auteur. 

 

 

Vous avez construit un univers très sombre sur la perte de l’innocence et le détournement des images de l’enfance. Qu’implique d’écrire un conte pour la jeunesse ?

Winshluss : J’ai déjà travaillé pour les enfants dans l’animation et en BD, avec Cizo, pour la série Wizz et Buzz, dans Picsou Magazine. A l’époque, on disait qu’on allait pervertir la jeunesse. Mon intention n’a pourtant jamais été de traumatiser les enfants, au contraire. Quand j’étais petit, j’avais des disques qui me racontaient Barbe Bleue ou le Petit Poucet, j’adorais ces histoires, mais elles me terrifiaient et me terrifient encore. L’univers trash que j’ai construit dans mes récits pour adultes s’articule sur les désillusions de l’enfance. Mon regard ne change pas, mais en écrivant pour la jeunesse, je m’engage à respecter cette innocence, en échappant à l’horreur des contes pour en distiller le plaisir que j’éprouvais enfant. Comme dans Pinocchio, les contes se réduisent à des gimmicks, à des souvenirs ancrés dans ma mémoire. Mon travail englobe plus largement la culture populaire, fondée elle-aussi sur une part de naïveté.  Je pioche ainsi les ingrédients narratifs et visuels, qui façonnent mes histoires, pour les enfants comme pour les adultes.

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Qu’est-ce qui vous a inspiré ce récit ?

Winshluss : On réécrit avec les mêmes névroses, il s’agit d’explorer d’autres codes, de changer de cadre, de quitter les espaces urbains contemporains et désabusés que j’ai beaucoup dessinés. J’avais déjà représenté la nature dans Smart Monkey, et j’avais envie de reprendre ce décor, pour traiter de thèmes plus universels et moins liés à l’actualité. Mon fils de six ans m’a inspiré Angelo : un gamin donneur de leçon, un fan de documentaires animaliers, il capture des insectes et voudrait que j’arrête de fumer. Je tisse toujours mes récits à partir de mes visions et d’anecdotes personnelles. J’avais commencé par dessiner le couple Angelo et GOOUH, l’esprit géant de la forêt,  à la fois effrayant et doux. GOOUH incarne l’essence druidique de la force de la nature, mais comme mon Pinocchio, il ne parle pas. Il est tout ce qu’on y projette. Les monstres et les géants m’ont toujours fasciné. Dans la perspective fantastique et les changements d’échelles, je m’amuse avec les mécanismes du merveilleux. Encore une fois, plus qu’un conte, je voulais créer un livre-jouet, pour le plaisir des enfants. Les scènes d’action et les images muettes sont essentielles. La couleur directe renforce encore l’aspect ludique.

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 « Dans la forêt sombre et mystérieuse », la pointe ironique du titre indique pourtant le registre de la peur ?

Winshluss : Mon but n’est pas de désenchanter l’enfant, ni de lui mentir. Le conte conserve un côté cruel. La peur de l’abandon est constitutive de l’angoisse enfantine.  La mort d’une grand-mère, dans mon livre comme dans le Petit Chaperon rouge, évoque un des premiers deuils que nous vivons. La mémé est ressuscitée dans l’histoire mais l’enfant n’est pas dupe. L’initiation à la cruauté du réel passe par l’imaginaire de la peur, l’humour atténue la terreur et recommande de rire contre l’absurdité de la vie. L’ironie institue la distance et superpose aussi plusieurs degrés de lecture. J’adorais, petit, les albums de Goscinny, y compris pour les références que je ne comprenais pas. L’humour pour un enfant c’est comme une énigme, un jeu de piste imaginaire qui développe son esprit critique en lui montrant des portes dont les verrous peuvent sauter plus tard, mais dont il se souviendra.

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

L’innocence de l’enfant dicte-t-elle la nécessité d’une fin heureuse ?

Winshluss : Le désir des enfants commande à lui seul une fin optimiste. Mon fils est là pour me le rappeler. Moi, gamin, je voulais toujours savoir ce qui se passait derrière le mot « fin » et aujourd’hui encore, j’invente toujours plusieurs fins possibles à mes récits, comme si je n’arrivais pas à fermer le livre. Je fabrique des poupées russes de dénouements possibles, comme cette fin exubérante et psychédélique. Les contes de fées insinuent les principes culpabilisateurs très tôt dans notre culture occidentale, pétrie de la tradition chrétienne autour du salut et de la rédemption. Angelo n’est pas un ange et n’est pas récompensé pour toutes ses bonnes actions, parfois il échoue. L’honnêteté intellectuelle guide la narration et se traduit dans cette fin à tiroirs.

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Vous évacuez donc le caractère moralisateur.

Winshluss :Je me suis inspiré de Jacques le fataliste de Diderot, car j’avais été marqué par la posture philosophique du narrateur et les rebondissements improbables, en rupture avec la logique moralisatrice des contes. C’est en regardant les Barbapapas avec mon fils et en redécouvrant l’affreux promoteur, que j’ai osé l’ogre banquier en costard ou la vallée du désespoir, une caricature primaire du monde tel qu’il est, un archétype de dénonciation. Le merveilleux exagère les stéréotypes, en esquivant le ridicule porté par le regard adulte sur le cliché. Les paraboles sur la tolérance comme les hommages à la nature et à l’essence de la vie s’expriment facilement. Mais dans les contes, la morale est souvent tout aussi artificielle que la fin heureuse. Le récit initiatique invite, à l’inverse, à poser les questions sans donner les réponses. Il s’attèle à démolir au fur et à mesure qu’il construit.

Propos recueillis par Lucie Servin pour Gallimard BD.

Dans la forêt sombre et mystérieuse, Winshluss, Gallimard, 160 pages, 18 euros

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