Venu à la BD par la littérature jeunesse, Fred Bernard a révélé depuis une décennie son talent pour le roman graphique, notamment à travers les aventures de Jeanne Picquigny, cette femme téméraire et philosophe, mère de deux enfants, affranchie et curieuse, indépendante et amoureuse de Eugène Love Peacock, son époux. Jeanne raconte ses histoires sous la forme d’un journal : un récit de voyage qui se laisse dévorer par un lecteur embarqué dans une épopée ou se mêlent philosophie et fantastique. Fourmillant de références intimes, littéraires ou historiques, nourri par les voyages de l’auteur lui-même aux quatre coins du globe, le monde de Jeanne Picquigny ouvre sur de nombreux univers que BDSphère a exploré en quatre épisodes, dévoilant quelques secrets d’inspiration ou de fabrication des planches, tout en proposant aussi des regards croisés sur des thématiques similaires.

Quand elle n’est pas en voyage, Jeanne Picquigny habite cette “vieille bicoque” qui appartient à son père disparu en Afrique. A l’intérieur d’un manoir qui compte de nombreuses pièces et cachettes insolites, elle investit le bureau de son paternel le professeur Modeste Picquigny. Bourguignon par sa mère, Fred Bernard est, du côté de son père, l’arrière petit-fils d’un immigré italien arrivé des Dolomites avec sa femme, enceinte de son grand-père en 1923. Fred naît à Beaune en 1969 et s’inspire de sa région pour situer ses histoires, installant Jeanne dans le village où il retape une vieille maison depuis 1999, non loin du château qui sert de résidence à son héroïne. Bourgogne oblige, le dessinateur ne se prive par pour dessiner les vignes.DE LA LITTÉRATURE JEUNESSE AU ROMAN GRAPHIQUE

Rien ne prédestinait Fred Bernard à la carrière de dessinateur de BD. Travaillant comme maçon avec son père, il voulait d’abord devenir vétérinaire en Afrique, mais renonça vite lorsqu’il réalisa la somme de travail à fournir pour ce type d’études. Hésitant encore avec l’architecture, il  entre finalement aux Beaux-arts de Beaune, puis il rejoint l’école Emile Cohl de Lyon où il fait la connaissance d’un ami et futur collaborateur, François Roca. Le tandem réalise de nombreux albums jeunesse. Aujourd’hui, Fred Bernard continue à écrire ou illustrer des histoires pour les enfants, mais depuis une décennie il a gouté en solitaire à ces romans graphiques où s’épanouit son talent de conteur d’histoires rythmées par les planches en pleine page et parfois double qui laissent exploser le goût des paysages de ce grand voyageur. La narration se libère et navigue entre les rêves, hallucinations fantastiques au milieu de ces images du monde entier et de la grande aventure.

LES SECRETS DU STIPPO

Si Fred Bernard s’inspire de tout ce qui lui passe par l’esprit ou à portée de la main, le lecteur embarqué par le récit du voyage et d’aventures se laisse prendre au jeu d’une narration qui sème indices et clins d’œil d’un volume à l’autre. Le Stippo est la clé du mystère du trésor perdu dans La patience du tigre, mais sert aussi de conclusion au précédent volume, L’ivresse du poulpe. Pour la petite histoire, ce meuble à secrets de la renaissance italienne existe bel et bien et illustre la curiosité de Fred Bernard toujours à l’affut de ces détails extraordinaires.

Devenu ami avec le chanteur Nino Ferrer, il se passionne pour les antiquités que celui-ci collectionne. Ce Stippo est un secrétaire à secrets entièrement sculpté venant d’Italie dont les combinaisons sont tellement complexes et anciennes qu’il est aujourd’hui impossible de toutes les retrouver. Une jolie métaphore pour plonger dans la fabrication de cet univers, à la recherche d’une œuvre pétrie d’allusions conscientes et inconscientes, de petits riens à des traumatismes plus intimes.

Lucie Servin