Coco Jumbo, Yes le style!
Au cœur de la jungle Dom Tom, Léon Maret signe avec Coco Jumbo, une « fablabla » satirique et ecolo, dans la lignée de ses épopées punk les plus délirantes.
Voilà une BD à la dynamite, qui ferait pousser des onomatopées à chaque page, tant le rythme, les dialogues, les cadrages, poussent la lecture dans des retranchements caricaturaux si osés, qu’on en viendrait à faire des Ô et des  devant chaque case, pris de spasmes, face aux débilités comico-cyniques qui rappellent le côté délicieusement punk de ce dessinateur. Sans jamais se prendre vraiment au sérieux, cet ancien membre du groupe Les Betteraves, dont on se souvient des titres blagues comme « Tueur de coiffeur », « Pif paf pouf », « Les sportifs sont des crétins » ou encore « un couscous pour Jean-Marie » Léon Maret semble s’être construit dans le sillage festif et politique des Ludwig von 88, creusant dans le versant d’un no future carnavalesque. Conteur à l’imagination délirante, celui qui chantait « je veux pas travailler » et « je veux mourir à 20 ans », a finalement canalisé son énergie en composant des BD déjantées, publiant notamment en 2012 Course de Bagnole ou la folle épopée de Mohamed-Michel aux Requins Marteaux et, chez 2024, l’inénarrable Canne de fer et Lucifer dans lequel il retraçait l’extraordinaire destin d’un jeune garçon, vagabond « canniste » pendant la Révolution française. Après un reportage moins drôle, sur les Séducteurs de rue réalisé avec Mélanie Gourarier en 2016 dans la collection sociorama de Casterman, dans Coco Jumbo, le petit dernier, le dessinateur retrouve sa verve et son talent pour mettre en scène le grand n’importe quoi à travers un safari satirique complètement barré.
A Domartin, dans la jungle Dom tom, Alain Boulanger est tué dans un terrible accident de voiture. Le célèbre homme d’affaire avait été placé à la tête de l’entreprise énergétique semi-publique VIEA, pour redynamiser l’activité à grand coup de slogans publicitaires. « Il faut moderniser la nature. La rendre plus cool. Plus lounge. Plus zap. » Sur le terrain, il accompagnait la mise en place « des gardes verts », une brigade déployée en argument marketing écologique, pour contrer les accusations de pollution portées autour de la mine d’Uranium, qui aurait provoqué l’exode massif des ugus, ces féroces « canidés à pattes semi rigides », fuyant la zone contaminée vers la mangrove.
Sur les lieux de l’accident, au cœur du secteur 8 incriminé, un singe vole au milieu des débris l’ordinateur de Boulanger, miraculeusement intact, alors que le PDG agonise empalé contre un arbre. Tout en lisant sur l’écran FABLAB, l’animal lui arrache le pied, et corrige oralement par le mot : « FABLABLA ». L’affaire éclate sur ce mystérieux indice. Deux journalistes mènent l’enquête. Marcel Berstein, alias Papa Mars, aux allures d’Edwy Plenel, directeur du site elysée-revue.com, spécialisé dans les révélations de « moult magouilles et moult combines » envoie sur place sa jeune et jolie assistante Marion Gréault étudiante en photo aux beaux-arts, « blasée de la life », venue traîner dans cette galère sa déprime sentimentale loin de la métropole. Un casting haut en couleur encore complété par les deux gardes verts, Adrien Vadime le neveu obsédé sexuel et pistonné de Boulanger lui-même, et Bouazzi, son camarade de brigade. En mission officielle pour capturer des Ugus pour les laboratoires de la firme, le duo vient surtout officieusement récupérer l’ordinateur rempli de fichiers compromettants. Autant d’ingrédients dignes des plus grands clichés des séries d’espionnages pour agiter ce récit choral dans un trait dynamique et coloré qui explose au gré des révélations et des sauts périlleux du vrai héros, Coco Jumbo, le singe savant, artiste subversif et télépathe, bavard et mythomane. De l’art de la « Fablabla », un mot qui condense la Fable et le blabla, pour définir une stratégie communicante et asseoir l’empire du « Yes le style ! » englobant synthétiquement à la fois le marketing de VIEA, et la leçon de journalisme de Papa mars, selon laquelle, en préambule « Il n’y a pas de politique sans esthétique ». De quoi laisser sans voix les théories du complot les plus farfelues ou comment par des pirouettes en jeu de mots et de cases, le langage du rire retombe toujours sur ses pattes.
Lucie Servin
Coco Jumbo de Léon Maret, éditions 2024, 162 pages, 16€