Riff Reb’s, un océan d’angoisse

Riff Reb’s, un océan d’angoisse

hommesalamerAprès A bord de l’Etoile Matutine de Pierre Mac Orlan et le Loup des mers de Jack London, Riff Reb’s conclut sa trilogie par un recueil de nouvelles sur la mer, somptueux. ( sélection Angoulême 2015)

Hommes à la mer, un titre lancé comme un appel au secours, pour venir à la rescousse de l’humanité entière, répondre aux « gémissements des âmes abandonnées », engloutis par la force des flots. Après avoir revisité A bord de l’Etoile Matutine de Pierre Mac Orlan et le Loup des mers de Jack London, Riff Reb’s trempe encore son crayon dans la littérature de la mer. Il compose cette fois un recueil insolite, une sélection de nouvelles librement adaptées, ponctuées de fragments de textes choisis et illustrés. S’établit alors un dialogue entre l’océan et la littérature, à travers la mise en scène de l’angoisse universelle face à l’inconnu et à la mort.

Riff Reb’s explore à vue. Il s’est embarqué dans un voyage qui commençait par le chef d’œuvre de Mac Orlan, paru en 2009. La cohérence de l’ensemble s’installe au gré des tempêtes, traversant les vents dominants de la noirceur et du désespoir. Les hommes et la mer, autant d’histoires qui composent des variations autour de récits fantastiques, de considérations philosophiques, jonglant entre l’humour, l’ironie et la poésie.

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Si les hommes restent les dénominateurs communs à toute la trilogie, dans ce dernier opus, l’océan devient un personnage à part entière, l’acteur principal du drame universel qui submerge les récits et engloutit les destinées. La tragi-comédie transcende dans les cases l’inexpliqué et la poésie des gouffres. Riff Reb’s livre ainsi un véritable traité sur l’angoisse. On reconnaît le style du dessinateur de Myrtil Fauvette ou du Bal de la sueur, dans la précision des détails, le goût expressionniste de son trait qui caricature les trognes et marque les visages. La colorisation en simple bichromie ajuste les ambiances et harmonise les récits.

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Riff Reb’s orchestre en parfaite maîtrise de son sujet. Il puise parmi les grands classiques, Pierre Mac Orlan et Jack London mais aussi Edgar Allan Poe, Robert Louis Stevenson, Joseph Conrad, Homère, Jules Verne, Traven, Eugène Sue, Marcel Schworb, ou encore des écrivains moins connus, comme Emile Condroyer (Prix Albert Londres 1933), et William Hope Hodgson, un écrivain anglais injustement occulté auquel le dessinateur consacre deux nouvelles. (Les chevaux marins et le dernier voyage de Shamraken). Cet éventail emprunte aux sources littéraires un romantisme noir et fantastique réactualisé par l’éternel questionnement. Plus qu’un hommage, Riff Reb’s s’approprie les textes, comme des partitions : « il les transpose » explique-t-il dans l’entretien qui augmente utilement l’album. Il aborde tous les registres, le rire, l’absurde, la cruauté, rend compte de la condition humaine, du mystère et de la peur, du mensonge et de la vérité. L’ensemble chemine  en alternant  nouvelles et extraits de textes illustrés avec des dessins qui explosent en pleine page, un peu comme les gravures des récits d’aventure.

riffhomereChacun lira surtout dans ce recueil son propre voyage, avec autant de possibilités d’escales que de manières de lire ces histoires, dans l’ordre ou dans le désordre, à l’endroit ou à l’envers. En effet, le rythme se révèle dans l’art de la juxtaposition de toutes ces petites chutes poétiques et graphiques, retranscrites dans les planches incomplètes qui concluent les nouvelles.

 

chuteriffLa chute, comme la morale de la fable, laisse ainsi à chaque fois une place au vide en engageant l’imagination et la réflexion du lecteur sur « ce monde plus ou moins homicide et désespérément mercantile ». Autant de méditations ironiques sur ce ciel qui finit toujours par tomber sur la tête des hommes. De disparitions en naufragesces contes tristes et poétiques revendiquent haut et fort, la réalité du néant, tangible et effrayante, celle que la science n’explique pas. Une exploration dans l’abîme des profondeurs métaphysiques, au coeur des angoisses existentielles, celles des marins et celles de tous les homme à la mer.

Lucie Servin

Hommes à la mer, Riff Reb’s, Noctambule, 120 pages,  17,95 euros (Sélection angoulême 2015)

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