Fred Bernard #5 : La fourrure réconfortante du Panda
La Paresse du panda prolonge sur 400 pages la saga familiale inventée par Fred Bernard autour des aventures de Jeanne Picquigny (La Tendresse des crocodiles, L’Ivresse du poulpe, La Patience du tigre) et de sa petite fille, Lily love Peacock à qui le dessinateur avait déjà consacré un volume. Au fil des pages, le roman fleuve déroule la même bobine, procède du même fil, tissant son intrigue de faits historiques et de légendes, pour poursuivre cette grande fresque féministe qui chante un hymne à la joie, une ode à la femme, à la liberté et à l’amour.
-> Lire les articles consacrés à Fred Bernard et aux aventures de Jeanne Picquigny, (précédemment publié sur BDSphère), sur le calamar :
- Interview de Fred Bernard
- Portrait de Fred Bernard
- La Tendresse des crocodiles
- L’Ivresse du poulpe
- La Patience du tigre
Jeanne Picquigny est un personnage auquel on s’attache. Née en 1900, elle a tout de la parfaite héroïne : belle, courageuse, intelligente, avec en prime, le charme d’un esprit ouvert et la force de l’indépendance. Jeanne parcourt le monde à la recherche des siens et d’elle-même, en traversant l’histoire et l’imaginaire du dessinateur. A la manière de Pratt qui puisait sans cesse dans le réel pour élaborer ses scénarios, Fred Bernard, en brodeur, fantasme la réalité pour poser la trame de ses aventures, insérer des références, des citations, des symboles, superposer les gammes narratives en procédant par clins d’œil dans un ensemble toujours cohérent. On lit le journal intime de Jeanne que le dessinateur met en scène, en rythmant les pages de sa tendresse en noir et blanc, un style lâché et fouillé à la fois, qui s’épanouit pleinement avec les illustrations pleines pages, en hommage aux paysages et aux décors.
Un plaisir renouvelé
Après l’Afrique de La Tendresse des crocodiles, l’Amérique et Cuba, dans l’Ivresse du poulpe, l’Angleterre et l’Inde dans la Patience du tigre. La Paresse du Panda raconte le chemin du retour de l’Himalaya à la Bourgogne, en passant par la Chine. Cette aventure commence logiquement là où la précédente finissait, à ceci près que Fred Bernard emboîte un nouveau regard dans son récit gigogne, celui de Lily, la petite fille de Jeanne, mannequin désabusée par le monde de la mode, vibrant pour la musique dans un groupe de pop-rock. Entre ses défilés et ses tournées, Lily se ressource en Bourgogne, dans la maison des Picquigny, (inspirée par un manoir bourguignon que connaît l’auteur) Auprès de Victoire Goldfrapp, l’amie mystico barrée de sa grand-mère, elle plonge dans le passé familial, en lisant le journal intime de Jeanne.
La double narration fait de la Paresse du Panda à la fois la suite de La Patience du Tigre, et son miroir, agissant comme une caisse de résonnance temporelle, dans une somme qui dialogue sur la valeur de l’héritage, discute de la transmission et de l’amour. Des étoiles de la physique quantique aux initiations spirituelles exotiques, de l’esprit au sens, Fred Bernard libère son crayon de poète.
Les aventures s’emportent dans un registre sensuel, élégiaque, comme une ode au plaisir et à l’érotisme. Les chapitres qui découpaient La Patience du tigre, se transforment en chants. Chants de poèmes et d’images, chants comme les célèbres Chants de Milarepa, le moine bouddhiste tibétain, pour mener la quête spirituelle et sensuelle. Les corps dansent, le tout s’emballe, dans une explosion joyeuse, l’humour n’est jamais loin. Une transe graphique, libérée et affranchie, comme une déclaration d’amour à la femme.
Lucie Servin
La Paresse du Panda, Fred Bernard, Casterman, 380 pages, 25 €